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l’église au peuple. Là venait aussi se rallier, avec quelques variantes d’opinion ou plutôt de conduite, un écrivain que je regrette de ne trouver mentionné nulle part dans cette série d’éclatans souvenirs, le comte de Montlosier, l’homme qui a dit la plus belle parole peut-être qu’on ait prononcée à l’assemblée constituante de 1789, courageux, éloquent, paradoxal, ne sachant, comme publiciste, que faire l’utopie du passé, mais pamphlétaire puissant, sauf à se répéter beaucoup et à se contredire encore plus, car il porta, par sa dénonciation aux cours royales du temps sur l’affaire des jésuites, le coup le plus redoutable peut-être à la cause qu’il aimait et aux traditions qu’il exagérait.

Ces trois esprits, puissans à des degrés divers, étaient encore indirectement aidés ou excités par la première polémique vendéenne de M. de Chateaubriand, ce côté sombre de sa lumineuse colonne. Dans le chemin ouvert par ce redoutable chef de parti, ils avançaient vite et loin, et tantôt soulevés par la marée montante de la restauration, tantôt quelque peu retardés par son reflux, ils traînaient nécessairement après eux bien des auxiliaires. De là des journaux tels que le Drapeau blanc et la Quotidienne, des réunions et des écoles telles que la société des bonnes lettres et celle des bonnes études, tout un mouvement de liberté moderne enfin au nom de l’ancien régime. Il n’est pas douteux même que cette nature d’opinion, par les souvenirs d’ancienne loyauté qu’elle évoquait, par son admiration systématique de la vieille France, n’ait concouru au réveil purement poétique, au nouvel essor d’imagination et de goût qui marqua cette époque, dont M. Nettement, dans quelques chapitres, décrit et les effets et le contre-coup avec justesse.

Entre M. de Bonald, M. Joseph de Maistre, les débuts de M. l’abbé de Lamennais, M. de Montlosier, le Conservateur, le Défenseur et même la Muse française, les romantiques et M. de Lamartine, il y a certainement un fil électrique qui parcourt et touche en un moment tous les chaînons de ce mobile et fantastique assemblage; mais, hélas! la fondation d’un gouvernement, le renouvellement d’une société sur un terrain remué jusqu’aux abîmes et avec des étais de création récente est chose bien autrement grave et difficile que les innovations littéraires par satiété ou par système. Tandis que la littérature de la restauration, excitée par la liberté publique et par la passion, se produisait sous toutes les formes de la controverse éloquente, de l’érudition et de la peinture historique, du paradoxe et de la poésie, tandis que même un progrès évident de bien-être social suivait ce mouvement des esprits, l’établissement politique restait incertain et menacé.

C’est ici que l’habile historien de la littérature sous la restauration, qui, par souvenir de jeunesse, par solidarité de première