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et d’honneur, cette portion impérissable du droit, dont l’expression plaît toujours, quelle que soit la forme des institutions, et parfois même grandit en devenant plus rare.

Cette nouveauté, cet éclat du journalisme politique appelait sous la même forme un autre développement des esprits, je veux dire la critique savante et libre dans les choses de goût, cette critique dont les revues anglaises et d’autres écrits étrangers ont donné souvent d’heureux exemples. On sait ce que parmi nous la critique avait eu d’importance sous l’empire, tout en étant plus élégante que forte et variée. Elle y avait représenté assez longtemps toute la polémique possible alors, et la seule liberté compatible avec tant de pouvoir. Elle y avait défendu et quelquefois même exagéré la sévérité classique, comme faisant presque une partie nécessaire de l’ordre public. Excellente pour le temps, cette critique n’eût suffi, quelques années plus tard, ni à la curiosité, ni à la liberté des esprits.

À ce moment, et pour répondre à une attente inévitable, commença de paraître deux fois par semaine une feuille littéraire surtout, indirectement politique, spéculative, impartiale, ou plutôt partiale à sa manière, mais ayant ce caractère précieux d’être écrite pour l’art et pour la science par des esprits jeunes, laborieux, sincères : ce fut le Globe. Le Globe n’est pas le Spectateur, composé avec tant d’élégante gravité par le whig Addison, le démocrate Steele et quelques amis, tous zélés serviteurs de la succession protestante et du roi Guillaume. Le Globe était dans son principe plus philosophique et plus désintéressé; sans haine pour la restauration, sans arrière-affection pour l’empire, il demandait surtout l’extension de l’enseignement, les libertés et le mouvement d’esprit que comporte la paix. De là, sous la forme d’abord de théorie et de goût, la guerre qu’il fit à la poésie régulière de l’empire, les horizons nouveaux qu’il chercha dans l’analyse comparée des littératures étrangères, la part qu’il fit à l’érudition, en même temps qu’il prétendait exciter l’invention, et enfin les vues et les essais qu’il publia et qu’il encouragea sur les philosophies écossaise et allemande, sur divers points de l’antiquité, sur les conditions de la poésie moderne, sur notre moyen âge et sur notre XVIe siècle en particulier, sur l’originalité de langue et de talent qui lui appartient, et avec laquelle la France, plus polie dans les âges suivans, avait trop rompu peut-être.

Tous ces sujets, si féconds et si nouveaux alors, étaient traités avec savoir, ardeur, imagination, par les talens et les nuances d’esprit diverses de MM. Jouffroy, Rémusat, Vitet, Sainte-Beuve, Duvergier de Hauranne, Ampère, Damiron, Dubois. Le fond général de la doctrine sur tant de questions différentes était issu du bel ouvrage de Mme de Staël sur l’Allemagne : la manière de discuter se