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aujourd’hui avec tant d’éclat aux séances annuelles de deux savantes académies; M. Abel de Rémusat, esprit supérieur et rare, encore plus ingénieux écrivain français que savant orientaliste, enlevé trop tôt à une renommée qui n’eût fait que se diversifier et s’accroître.

Dans un autre ordre d’idées, on aurait aimé à voir l’examen comparatif d’un habile critique s’arrêter plus longtemps sur les drames historiques de M. Vitet, cette portion la plus vraie peut-être de l’innovation romantique dans notre temps. L’intelligence des faits et des passions mêlée à la peinture des mœurs locales, c’était là une nouveauté par la vérité, une précieuse condition du drame supérieurement saisie dans les Barricades et les États de Blois, à part les allusions du moment, qui ont passé sans rien emporter du mérite de l’ouvrage, et du talent si neuf et si vrai de l’auteur. Il eût appartenu au moraliste politique, comme au littérateur, d’apprécier cette heureuse variant, de l’art dramatique parmi tant de piquans détails jetés sur nos révolutions théâtrales, de l’École des Vieillards à Hernani, et de l’inépuisable invention de M. Scribe à tant d’autres essais d’innovation plus solennels. C’était le moyen de parcourir et de noter tous les tons de l’esprit français durant quinze ans, et de faire de la critique littéraire et des questions de goût un appendice de l’histoire sociale.

Plus cette liaison apparaîtra, plus l’histoire littéraire sera vraie, sérieuse, instructive. Savez-vous ce qui donne aux quinze ans de la restauration, à cette époque de paix et de trouble, mobile et contentieuse, qu’un violent orage termina si brusquement, savez-vous ce qui lui donne une physionomie à part, un caractère dans l’avenir, un titre durable de gloire intellectuelle ? Ce ne sont pas seulement quelques noms célèbres et quelques importans ouvrages, quelques créations même neuves de théorie, et, ce qui vaut mieux, de talent : ce n’est pas seulement la variété des esprits heureux qui se produisirent, le nombre des bonnes pages et des bonnes pièces de vers qu’on pourra citer et recueillir. Ce sera surtout qu’à cette époque, et dans un cours rapide, altéré parfois, mais qui tendait à s’épurer, la littérature française fut inspirée d’un esprit généreux; qu’elle aima, qu’elle chercha, qu’elle voulut la science, la liberté, les lois, l’originalité dans l’art et la dignité dans la vie publique. Ce sont là de nobles précédons et un noble souvenir pour une époque entière.


VILLEMAIN, de l’Institut.