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catholicisme, la compression de l’Italie est rachetée par d’immortels chefs-d’œuvre. Et n’est-ce pas cette grande école française qui a réalisé l’idéal entrevu de loin par les Caraffa et les Contarini ? La philosophie et la religion sont d’accord, et Leibnitz peut songer de nouveau, comme les théologiens de Ratisbonne, à réunir ce que les déchiremens du XVIe siècle ont si cruellement séparé. M. Ranke excelle dans le détail ; il excelle surtout à découvrir les épisodes qui éclairent l’histoire générale de l’Europe. Personne avant lui n’avait embrassé dans leur ensemble les vastes entreprises de la politique romaine, lorsque le catholicisme, assuré de la victoire dans l’Europe du midi, redoublait d’activité et de zèle pour s’emparer de l’Europe du nord. Il révèle toutes les phases ignorées de cette grande expédition, il suit cette propagande en Allemagne, en Hollande, en Pologne et jusque dans le palais de Gustave-Adolphe ; mais encore une fois, c’est le magnifique essor de l’église gallicane au XVIIe siècle qui devait former le centre du tableau. Quelques pages un peu ternes sur Port-Royal ne suffisaient pas ici, et ce beau livre, si rempli de faits nouveaux, d’indications pénétrantes, ressemble plus, l’oserai-je dire ? à un précieux fragment qu’à une composition achevée. Je m’associe avec émotion aux espérances religieuses par lesquelles M. Ranke termine son œuvre ; j’applaudis à ce vif désir de l’unité, à ces larges et libérales pensées où se révèle une âme vraiment chrétienne ; mais n’y a-t-il pas beaucoup de vague dans ces conclusions même ? et l’auteur ne parlerait-il pas avec plus de précision et d’autorité, s’il avait donné à l’église de Pascal et de Bossuet la grande place qui lui est due ?

Le premier volume des Princes et Peuples du Midi de l’Europe est de 1827 ; les trois autres, qui forment spécialement l’histoire des papes aux XVIe et XVIIe siècles, n’avaient complètement paru qu’en 1836. Pendant ces neuf années, M. Ranke avait visité plusieurs fois l’Italie, surtout il avait remué de fond en comble les archives vénitiennes, et découvert dans les relations des ambassadeurs de Saint-Marc les plus précieux documens sur l’histoire moderne de l’Europe. Grâce à ces documens, deux épisodes du XVIe et du XVIIe siècle s’éclairèrent à ses yeux d’une lumière subite. Comme ils ne pouvaient trouver place dans son histoire, il les traita séparément. Le premier de ces mémoires, intitulé Don Carlos, infant d’Espagne, parut à Vienne en 1827 ; le second, De la Conjuration contre Venise en 1618, fut publié à Berlin en 1831. Don Carlos, infant d’Espagne, est une curieuse page d’histoire, pleine de netteté et d’attrait ; mais le plus important de ces travaux, une véritable conquête scientifique, une précieuse étude où éclate toute la sagacité d’un maître, c’est le mémoire sur la conjuration de Venise.