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d’architecture, une époque de décadence, soient antérieurs à l’époque où les Grecs songèrent à créer leurs ordres classiques ? A-t-on pu oublier d’ailleurs quel était l’état du monde au temps de Trajan ou d’Adrien, ce mélange de tous les cultes, de toutes les civilisations, qui fait de cette période la Babel de l’histoire profane ? Maîtresse en Orient et en Égypte par ses anciennes conquêtes et son génie, la Grèce, à ce dangereux contact, avait beaucoup perdu de son élégante simplicité, comme ces fleuves dont la limpidité s’altère quand ils franchissent leurs rivages. De là cette architecture syncrétique, que M. de Saulcy a prise pour de l’architecture hébraïque. L’histoire de l’art grec aux jours de décadence suffit amplement à expliquer ce mélange de styles divers qu’il érige en un problème dont il croit avoir trouvé la solution.


II.

Les découvertes de M. de Saulcy s’étendent bien au-delà de Jérusalem, et il faut le suivre maintenant sur les bords de la Mer-Morte. Le moins connu de tous les lacs, si on réfléchit à sa grande célébrité, est le lac Asphaltite. Tout est mystérieux en lui, son origine, sa nature, ses productions. C’est au fond d’un affreux désert qu’il réfléchit un ciel d’airain, et ses eaux, sans fraîcheur et sans mouvement dans leur ceinture brûlante de sables et de rochers, lui ont valu le lugubre surnom de Mer-Morte.

Les anciens n’avaient sur le lac Asphaltite que des notions très imparfaites, et pendant longtemps l’ignorance des modernes à cet égard a dépassé celle des anciens. Ce n’est qu’en 1806, au moment même où un grand peintre parcourait la Judée pour y trouver les couleurs d’un beau poème, qu’un autre voyageur, victime peu après de son dévouement à la science, faisait pour la première fois le tour de la Mer-Morte. Depuis l’infortuné Seetzen, d’autres explorateurs, parmi lesquels nous citerons Burckhard, Irby et Mangles, Robinson et Smith, le colonel Lynch, etc., ont visité cette contrée. Nous honorons le courage de ces missionnaires de la science, nous sentons toute la reconnaissance qui est due à de si intelligens efforts, nous en apprécions hautement les résultats, mais nous ne pouvons nous empêcher de croire que l’obscurité dans laquelle s’enveloppe cette difficile question du lac Asphaltite n’est point encore suffisamment dissipée, en dépit de M. de Saulcy, qui ne s’est déterminé à entreprendre une longue et pénible excursion que dans l’espoir de l’éclaircir.

Un fait qui semble incontestable, même en réduisant à sa juste valeur l’exagération à laquelle les voyageurs et les exégètes bibliques ne sont que trop enclins, c’est que ce lac fameux a été le théâtre d’une grande catastrophe. Le caractère si remarquable de ses eaux, les phénomènes singuliers qu’elles présentent et qui sont attestés par des témoins dignes de toute confiance, l’incomparable désolation de sa rive méridionale, désolation qui est telle que tous ceux qui la visitent sont frappés de stupeur, tout ici se réunit pour montrer les traces de quelque révolution physique. À ces puissans indices d’un événement perdu dans la nuit du passé vient se joindre un récit curieux, significatif et plein d’enseignemens; ce récit est celui de la tradition hébraïque, qui nous apprend que, dans ce lieu même, cinq villes qui avaient excité la colère de Jéhovah furent foudroyées et détruites.