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Toutefois, comme il n’arrive que trop souvent dans les questions d’une nature hypothétique, sur lesquelles on se hâte de prononcer avant de bien connaître les élémens dont elles se composent, les érudits se sont parlasses sur le point de savoir si, entre le fait physique et la tradition hébraïque, il y avait un lien quelconque. Ainsi les uns ont pensé que, le bassin de la Mer-Morte servant de réservoir au Jourdain et à quelques autres rivières, le lac avait dû exister aussi anciennement que ces rivières; que l’hypothèse de Cellarius, d’après laquelle le Jourdain se serait écoulé jadis dans le golfe d’Arabie, était inadmissible, parce que du côté du sud le lac Asphaltite reçoit une rivière qui coule en sens inverse du Jourdain, et ils ont tiré de là cette conséquence, que le lac devait avoir existé avant le bouleversement local signalé dans la Genèse, révolution physique qui tout au plus n’aurait fait que l’agrandir.

D’autres ont supposé au contraire (et tel est le sentiment du célèbre Michaëlis et du savant géographe Busching) qu’il était facile de concilier la Genèse et la physique. Se fondant sur le passage de l’Écriture où il est dit que la vallée de Siddim ou plaine de Sodome, — devenue depuis la mer de sel ou lac Asphaltite, comme l’indique un des versets suivans, — renfermait sur une vaste étendue des sources de bitume; qu’en outre, comme en Égypte, de nombreux canaux la fertilisaient, ils ont tiré cette conclusion : c’est qu’une portion des eaux du Jourdain, après avoir alimenté ces mêmes canaux, formait un lac souterrain, et que le jour où la foudre alluma ces sources de bitume sur divers points du territoire, le sol venant à céder au milieu de cet incendie, les villes s’abîmèrent avec lui dans les profondeurs du lac.

Il y a trente ans, cette hypothèse pouvait paraître purement gratuite. Aujourd’hui elle a acquis une certaine valeur, depuis qu’un observateur habile qui a visité le lac Asphaltite l’a reprise en la modifiant. En effet, selon M. Robinson, il y a plus d’un motif pour croire qu’une portion de ce lac couvre aujourd’hui la région appelée dans l’Écriture plaine de Siddim. Voici les principales raisons qu’il donne à l’appui de cette assertion. — Premièrement, l’aspect de la partie méridionale de la Mer-Morte est tout différent de celui que présente la partie nord, dont elle est séparée par une presqu’île qui semble couper le lac en deux. La mer, dans cette partie méridionale, est peu profonde[1], et si on remarque à son extrémité, du côté du sud-ouest, une grande masse de sel gemme ou fossile, de deux cents pieds de haut, nommée le Promontoire d’Usdum ou de Sodome, ses bords à l’est et au sud-est sont plats et découverts. Vue des montagnes de l’ouest, elle ressemble à l’embouchure d’une rivière quand la marée est descendue. — En second lieu, cette contrée est toute volcanique et sujette à des tremblemens de terre. Les traces en sont, pour ainsi dire, toutes fraîches dans la région du lac Tiberias, qui n’en est pas éloignée, — Troisièmement, l’asphalte, qui est maintenant beaucoup moins abondant que du temps des anciens, ne se trouve que dans la partie méridionale du lac. Quand il s’y montre flottant sur les eaux, c’est à la suite de quelque convulsion de la nature. Après les tremblemens de terre de 1834 et de 1837, qui désolèrent ces contrées, les Arabes recueillirent de grandes quantités d’asphalte que le vent avait poussées sur la rive.

  1. Ce fait a été confirmé depuis par les sondages de M. Lynch.