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C’est sur de telles données, résultant de ses observations personnelles, que M. le docteur Robinson a fondé son système; mais à la foudre de Jéhovah, l’unique agent dans la tradition hébraïque de la destruction des villes coupables, il en associe un autre d’un ordre bien différent, l’agent volcanique. Peut-être, ainsi qu’il le suppose, se réunirent-ils tous deux pour embraser ces amas de bitume qui s’accroissaient depuis des siècles autour de ces fosses ou sources dont parle l’Écriture. Or, comme ces sources étaient nombreuses, leurs produits devaient être abondans, et il est permis de supposer qu’ils s’étendaient au loin sous terre, se mêlant au sol dont leurs larges stratifications formaient la seconde couche, faisant ainsi du territoire de la Pentapole un foyer d’incendie souterrain. De là, par une cause ou par une autre, destruction de la vallée de Siddim, formation immédiate de la baie méridionale, c’est-à-dire agrandissement du lac Asphaltite. Que cette catastrophe ait eu pour origine soit un éboulement, soit un soulèvement volcanique du fond du lac, ceci importe peu quant au résultat, qui aura toujours été le même : la création d’un nouveau bassin de la Mer-Morte. En effet, si on admet le cas d’éboulement, les eaux se seront précipitées dans le gouffre qui leur était ouvert; si on suppose le soulèvement volcanique, il est tout naturel que, franchissant leurs anciennes limites et se répandant au loin dans la direction du sud, elles aient recouvert l’immense bas-fond qui commence à la presqu’île d’El-Mezraa et se continue jusqu’à l’extrémité de la Mer-Morte.

L’opinion des géologues, qui considèrent maintenant les bitumes ou asphaltes comme des produits volcaniques indirects, de même que les dépôts de sel gemme, les éruptions gazeuses, les sources thermales et minérales, vient à l’appui des conjectures de M. Robinson. Aussi un savant célèbre, Léopold de Buch, consulté par le prudent voyageur, s’est-il empressé de confirmer en beaucoup de points sa théorie[1].

Serait-ce tomber dans une grave erreur que de croire que les curieux documens recueillis par MM. Robinson et Smith sur les rives de la Mer-Morte, documens qui acquièrent une valeur toute nouvelle quand ils sont complétés par les observations d’un illustre géologue, peuvent être considérés comme une réponse péremptoire aux objections d’un des plus savans membres de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, M. Quatremère, qui veut bien, sauf quelques modifications, admettre l’hypothèse de Michaëlis, mais qui rejette nettement l’action volcanique ? « La catastrophe de la plaine de Sodome, dit-il, ne peut être l’effet d’un tremblement de terre. Les tremblemens de terre ne laissent pas à leur suite de si nombreuses marques de désolation. — Si une éruption volcanique ou un tremblement de terre avait seul causé la ruine de Sodome et des villes voisines, des éruptions ou des ébranlemens du même genre se seraient continués dans la suite des âges. Jérusalem aurait éprouvé le contre-coup de ces terribles catastrophes. » On remarquera qu’ici l’orthodoxie fort respectable d’un grand orientaliste se rencontre avec l’orthodoxie poétique d’un grand écrivain. « La présence des eaux thermales, du soufre et de l’asphalte, observe M. de Chateaubriand, ne suffit point pour attester l’existence antérieure d’un volcan. C’est dire assez que quant aux

  1. On en trouve la preuve dans sa réponse, écrite en français et datée de Berlin (20 avril 1839).