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rois de la Pentapole se rassemblèrent dans la vallée de Siddim, qui est la mer de sel, » signifiait clairement qu’au temps de Moïse le lac Asphaltite occupait cette vallée, c’est-à-dire l’emplacement de Sodome et des autres villes coupables. Il paraît qu’on était pleinement dans l’erreur. Or voici le raisonnement du docte Hollandais : « Puisqu’il est dit que les rois de la Pentapole se réunirent dans la vallée de Siddim, il suit de là que cette vallée était distincte de la Pentapole elle-même. » Un philologue de bon sens a répondu que ce n’était point entre leurs murailles, et en restant isolés, que ces petits rois pouvaient combattre l’ennemi, qu’il était tout simple qu’ils se fussent donné rendez-vous sur l’un des points de leur territoire, c’est-à-dire dans la vallée de Siddim elle-même. Peut-être que l’auteur du Voyage dans les Terres bibliques, s’il eût approfondi davantage cette minime question de stratégie, ne se serait point écrié « que l’illustre Reland, avec son tact ordinaire, avait parfaitement deviné que les villes de la Pentapole devaient être sur les bords du lac Asphaltite, et que leurs ruines pouvaient, devaient même s’y trouver. »

M. de Saulcy a rassemblé plusieurs passages des prophéties de Jérémie, de Sophonie et d’Amos, où l’on remarque qu’en parlant des villes coupables il n’est question que de soufre, de ronces, de tisons, d’incendie. Nous croyons que le langage des prophètes, qui souvent n’est pas beaucoup plus clair que celui des oracles, est trop vague en général pour servir de point d’appui quand il s’agit de caractériser un fait qui se rattache à la physique. On n’a jamais invoqué l’Apocalypse dans une question de géographie. Voici un argument plus nouveau. Il consiste à prétendre que Sodome, dans les premiers siècles de l’église, n’était rien moins qu’un évêché. On annonce que le fait a été attesté par les actes du premier concile de Nicée. Toutefois il a paru si extraordinaire à Reland, qui l’a discuté, que le docte Hollandais n’a pu s’empêcher de soupçonner ici quelque confusion inouïe. Aujourd’hui que la version copte des actes de ce concile a été publiée et commentée par un confrère de M. de Saulcy, nous avons la joie d’apprendre que le doute n’est plus possible, et qu’en effet un saint personnage a reçu le titre d’évêque de Sodome. Seulement, comme il est plus que douteux que la ville maudite, se relevant de ses ruines, se soit transformée en une Sodome repentante et chrétienne, M. de Saulcy propose de voir dans cet évêque, nommé Sévère, un de ces dignitaires ecclésiastiques que le clergé désigne par la qualification d’évêques in partibus, c’est-à-dire sans évêchés. Mais passons aux auteurs profanes.

On s’est prévalu de ce que Strabon rapporte que les ruines de Sodome n’avaient pas moins de soixante stades de tour. Il était impossible de citer Strabon plus mal à propos. Ceux qui ont cru que les ruines d’une ville bâtie il y a quarante siècles par une petite tribu arabe dans une oasis menacée par le désert, que ces ruines, disons-nous, après des milliers d’années, pouvaient avoir trois lieues de tour, ceux-là n’y ont pas songé. Aussi les érudits ont cherché à expliquer, car ils ne se découragent pas aisément, ces soixante stades de circuit, et ils ont pensé que ce n’était point l’enceinte de la ville, mais tout le territoire de la Sodomitide, que Strabon désignait de la sorte. Il eût été bien plus simple de convenir que Strabon, qui n’avait pas visité la Judée, a confondu deux lacs situés à plus de soixante lieues l’un de l’autre.