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triomphe de la Russie assurément, c’est d’avoir surexcité des passions qui ne peuvent aujourd’hui être utiles qu’à elle, et ne peuvent entraîner que des déceptions pour ces malheureuses populations grecques.

De toute manière, on peut le remarquer, l’état général de l’Europe se présente en ce moment dans des conditions qui ne s’étaient pas vues depuis longtemps. Par l’immensité des intérêts, par toutes les causes de la guerre, par la gravité inévitable du dénoûment qui surviendra, quel qu’il soit, c’est une situation faite pour inspirer à toutes les intelligences les plus justes et les plus fortes préoccupations. Les conflits ont beau se dérouler au loin, c’est à l’intérieur même qu’il faut se demander quel cours ils suivront, où ils peuvent conduire. Il est certes des points sur lesquels les opinions ne sauraient se diviser. Convenons-en cependant, il y a toujours des esprits doués d’im tact particulier pour choisir leurs momens et les thèmes de leur vide éloquence. Qu’il s’élève, comme aujourd’hui, une question de nature à rallier toutes les pensées dans une sphère supérieure à toutes les considérations, il se trouvera des plumes doucereuses et vulgairement habiles qui viendront réveiller tous les souvenirs, mettre en cause tous les gouvernemens qui ne sont plus. Singulier genre d’appui, qui consiste à tout immoler au présent, à voir non une grande question en elle-même, mais le pouvoir qui €st debout ! Après tout, ces gouvernemens, dont on instruit si lestement le procès dans deux colonnes de journal, n’ont point laissé décliner la fortune de la France, et tous ne l’avaient pas reçue dans les circonstances les plus favorables. De telles polémiques seraient à coup sûr un assez maigre aliment pour l’opinion publique, assez peu attentive à ces sortes de diversions qui se font jour de temps à autre, s’il ne restait la question même dont elles se font une arme. Là est toujours pour le moment la grande, l’unique affaire qui supplée à tous les incidens intérieurs. Il est cependant diverses questions qui se sont produites récemment devant le corps législatif, et qui ont leur gravité. De ce nombre sont deux projets présentés par le gouvernement : l’un tendant à faire disparaître la mort civile de notre législation pénale, l’autre ayant pour but de réformer en quelques parties la loi du 15 mars 1850 sur l’instruction publique. Il y a longtemps déjà que se débat la question de l’abolition de la mort civile, et au moment même où cette peine passait de la vieille législation dans notre code nouveau au commencement du siècle, elle rencontrait pour principal adversaire le premier consul. Par la mort civile, on le sait, le condamné perd la propriété de ses biens ; il ne peut plus ni disposer, ni recueillir de succession ; il est en un mot retranché de la vie civile à tel point que son mariage même est dissous, que sa femme, en continuant à vivre avec lui, ne serait plus rigoureusement qu’une concubine, et que les enfans qui pourraient naître de cette union ne seraient que des enfans naturels. Tels sont du moins les effets civils, et il suffit d’en constater l’excès pour rendre palpable la nécessité d’y porter quelque atténuation. C’est l’objet du récent projet de loi combiné dans la vue de faire disparaître les résultats les plus monstrueux de la mort civile sans désarmer la pénalité. La difficulté consiste à trouver un système de peines accessoires qui corresponde aux condamnations perpétuelles. Cette difficulté, le gouvernement la résout en attachant à ces condamnations perpétuelles la dégradation civique, l’interdiction légale, l’incapacité de donner ou de recevoir soit par donation, soit