Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/642

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soie, qu’un million de soldats ne réduiront pas par la force militaire. Tout est ici soldat si on veut gouverner militairement, tout sera ami si on veut parler de l’indépendance de l’Espagne, de la liberté de la nation, de sa constitution, de ses cortès. Voilà la vérité : qu’on choisisse ! » Vingt fois Joseph donne sa démission avec angoisse ; l’empereur finit par ne lui plus répondre, et les rapports personnels sont interrompus jusqu’en 1812, où Napoléon fait quelque droit aux demandes de son frère ; mais alors il n’est plus temps. Les destinées s’accomplissent selon le langage impérial, ce qui veut dire, pour ceux qui font la part de la responsabilité humaine, que trois années de fautes portent leurs fruits, et là est la forte leçon de ces événemens, là est la lumière qui jaillit à chaque page de cette Correspondance.

C’est un des traits de notre temps de se plaire à ces révélations de l’histoire : en reste-t-on toujours plus instruit ? C’est une autre question. L’histoire souvent plaît moins pour les instructions qu’elle donne que pour les spectacles qu’elle offre. Ces chocs des passions et des intérêts d’un autre temps ont un langage qui parle à l’imagination, même quand l’expérience n’est pas toujours écoutée dans la pratique. On aime à se représenter cette vie d’autrefois par une sorte de. curiosité ardente de l’intelligence. On aime à reculer son horizon dans le passé, comme on aime à l’élargir dans le présent en étendant son regard au développement de tous les peuples, à la diversité des mœurs humaines sous toutes les latitudes. De là, à côté de l’intérêt de l’histoire, l’intérêt des récits de voyage. Autrefois c’eût été une entreprise exceptionnelle et hardie d’aller en Égypte et en Nubie — comme M. Maxime Du Camp, l’auteur d’un livre récent sur le Nil, bien plus encore d’aller jusque dans l’extrême Orient — comme l’auteur des souvenirs d’une ambassade française en Chine, M. de Perrière Le Vayer. Qu’est-ce aujourd’hui ? À peine un épisode qui remplit quelques mois. Membre distingué de la diplomatie, M. de Perrière comptait dans la mission qui était envoyée en Chine en 1844, pour nouer des rapports entre la France et le Céleste Empire, et c’est de la partie de ce voyage la plus étrangère aux protocoles qu’il se fait l’historien, marquant de quelques traits les points divers où il touche, les Canaries, le Brésil, le Cap, Bourbon, les Philippines, Macao, Calcutta. M. de Perrière raconte en écrivain élégant, en homme du monde, en observateur net et ingénieux. M. Maxime Du Camp est d’une autre classe de voyageurs : il voit avec son imagination, et saisit surtout le côté plastique des choses ; il est de l’école du pittoresque. La vie du désert le passionne ; il s’oublierait dans une cange sur le Nil. Qui croirait pourtant que dans ces pages il se trouve une place pour la symbolique humanitaire, pour la politique de « l’amour appuyé sur la liberté et l’autorité ? » Les livres de voyages ont, à vrai dire, un intérêt que n’ont point les autres livres ; ils font voir d’un même coup d’œil tous les degrés de la civilisation, depuis la liberté puissante et active de l’Angleterre jusqu’à l’immobilité chinoise et à la résignation opprimée du fellah. Ils éveillent et développent l’idée de l’univers, c’est-à-dire l’idée d’une existence simultanée de millions d’hommes répandus sur le globe dans les conditions les plus différentes. Tout vit, tout se meut à la fois ; le même soleil éclaire une révolution qui finit et une révolution qui commence, la florissante industrie des hommes et les sanglantes immolations d’une bataille, ceux qui souffrent et ceux qui sont dans la joie, — et sur le vaisseau où on fend la mer l’œil