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conquérir ou garder Monaco que le Piémont serait disposé à se créer la moindre difficulté. D’un autre côté, le duc de Valentinois n’est point éloigné peut-être de céder ses états moyennant une indemnité suffisante. On voit qu’il y a là tous les élémens d’une transaction de nature à ne blesser aucun intérêt, et qui laissera intacts les traités de 1815 dans leur rapport avec Monaco ; ils n’auront pas toujours été aussi bien respectés.

Ne dépend-il pas un peu d’ailleurs de tous les pays, surtout des pays faibles et nécessairement protégés, de s’assurer le bénéfice des traités ? Ils le peuvent en se rendant un compte exact de leur situation. Nous parlions tout à l’heure de la Grèce. Malheureusement c’est la condition première de la situation qu’elle oublie. L’histoire de l’année qui s’est écoulée depuis sa mission du prince Menchikof nous montre clairement la trace et le progrès de l’agitation qui vient d’y éclater. Jusqu’au moment de la déclaration de l’état de guerre entre la Porte et la Russie, les sentimens des Grecs étaient encore empreints de quelque incertitude. Les partisans de ce que l’on appelle la grande idée, les hétairistes, étudiaient avec curiosité le développement de la crise ; mais en voyant les efforts redoublés de la diplomatie pour pacifier le différend, ils doutaient que les circonstances pussent devenir assez favorables pour tenter l’exécution de leurs plans. S’ils accusaient les puissances occidentales de complicité avec la barbarie et avec l’islamisme, ils reprochaient, quoique timidement, à la Russie sa lenteur et ses ménagemens. Quant au gouvernement hellénique, il ne laissait voir aucun parti pris, et les missions qu’il avait données sur la frontière à des officiers notoirement dévoués à la Russie pouvaient paraître des actes de faiblesse plutôt que de mauvais desseins. D’ailleurs à cette époque, les conseils des ministres de France et d’Angleterre à Athènes étaient encore écoutés. On consentait à remplacer les officiers qui passaient pour animés de dispositions peu pacifiques ou suspectes, et les feuilles du gouvernement osaient encore faire quelques objections aux organes du parti russe, lorsque leur polémique dépassait trop scandaleusement les bornes de la prudence et du sens commun.

À partir de la déclaration de l’état de guerre, on vit les choses changer sensiblement. La presse prit un langage qui dans des feuilles telles que le Siècle atteignait aux dernières limites de la violence et du ridicule. Des écrivains fanariotes y publiaient des dithyrambes à la fois pompeux et nébuleux, pour célébrer, comme on le faisait à la même époque à Saint-Pétersbourg et à Moscou, le désintéressement chevaleresque du tsar et la mission civilisatrice de la sainte Russie. Le gouvernement lui-même, sans avouer encore une sympathie formelle pour l’entreprise de l’empereur Nicolas, faisait voter par les chambres, sous le prétexte de la crise alimentaire, un emprunt dont le produit était secrètement destiné à l’achat d’armes et de munitions de guerre. Il cherchait en même temps son point d’appui au moyen d’élections nouvelles dans le parti napiste, dont il patronait partout les candidatures. Le gouvernement hellénique se livrait en quelque sorte aux représentans de l’intérêt russe, et abdiquait imprudemment entre leurs mains sa liberté d’action.

Aussitôt qu’il est devenu évident que les efforts de la diplomatie n’aboutiraient pas, les Grecs se sont donc ouvertement prononcés. Une insurrection, soudoyée sur la frontière parmi les populations d’ailleurs les moins fortu-