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la continuation de la guerre, on avait besoin de part et d’autre d’une suspension d’armes pour se procurer les moyens de la poursuivre avec plus d’énergie.

On sait quelle fut l’issue du congrès de Prague. À vrai dire, le jour où il s’ouvrit, aucune des puissances n’en attendait, on pourrait dire ne désirait en voir sortir un résultat pacifique. L’Autriche seule peut-être en eût été vraiment satisfaite, mais une conférence que M. de Metternich avait eue quelques jours auparavant avec l’empereur des Français n’avait pu lui laisser aucune illusion sur la possibilité de l’amener autrement que par la force aux concessions que le cabinet de Vienne considérait comme pouvant seules devenir les bases d’une pacification sérieuse. Napoléon offrait, pour s’assurer l’alliance de l’Autriche, de lui rendre les provinces illyriennes ; il ajoutait que ce n’était pas son dernier mot, et quelques paroles qui lui échappèrent plus tard pourraient faire croire en effet qu’à toute extrémité il eût consenti à abandonner le duché de Varsovie. On ne peut guère douter non plus qu’il n’eût déjà pris son parti de renoncer à l’Espagne, où coulait inutilement depuis cinq ans le plus pur sang de la France, et dont nos armées, vaincues par lord Wellington, évacuaient en ce moment le territoire ; mais ces concessions, qui, en lui laissant encore une immense puissance matérielle, l’eussent placé dans une position si humiliante et lui eussent enlevé toute force morale, étaient loin de satisfaire le gouvernement autrichien. Il voulait de plus la dissolution de la confédération du Rhin, l’abandon de l’Italie presque entière, et, pour le cas encore douteux où l’Angleterre se déciderait à faire la paix, l’abandon de la Hollande. Napoléon se révoltait à l’idée de faire de tels sacrifices alors qu’il venait de remporter deux victoires. Quoique l’empire français, dans les limites où on lui demandait de le restreindre, eût encore été bien grand, bien puissant, autant et peut-être plus que ne le demandaient les intérêts véritables de la France, Napoléon sentait bien que souscrire à de tels arrangemens, c’eût été pour lui personnellement signer sa propre déchéance. Ce n’est pas impunément qu’on essaie la conquête du monde, on y périt lorsqu’on n’y réussit pas, et de nos jours un tel succès est impossible pour bien des motifs. Il était dans cette position terrible où la cause, les intérêts d’un prince cessent d’être identiques à ceux de son peuple, où le bien et le salut de l’un exigent ce que l’honneur de l’autre ne comporte pas. Dans une telle position, un prince dont la dynastie est affermie sur le trône peut tout concilier en abdiquant ; c’est ce que fit Charles-Quint lorsque la fortune contraire eut renversé ses projets de domination universelle ; c’est ce qu’a fait tout récemment, si l’on peut comparer dès personnes et des choses si inégales, le téméraire et infortuné Charles-Albert ;