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C’était le 27 janvier que sir Charles Stewart présentait ainsi les dispositions du monarque russe : trois jours après, lord Castlereagh lui-même en rendait compte à son gouvernement dans les termes suivans :

« Notre plus grand danger provient maintenant de l’impulsion chevaleresque que l’empereur Alexandre est enclin à donner à la guerre. Il est poussé vers Paris par un sentiment personnel absolument distinct de toutes considérations politiques et militaires. Il semble chercher l’occasion d’entrer avec sa magnifique garde dans la capitale de l’ennemi, probablement pour faire contraster sa clémence et sa modération avec la désolation à laquelle a été livrée sa propre capitale. L’idée qu’une négociation rapide pourrait tromper cette espérance le rend encore plus impatient… Vous pouvez vous faire une idée de quelques-uns des hasards auxquels nos affaires sont exposées, alors qu’un des principaux souverains m’a dit, en me voyant pour la première fois, qu’il n’avait pas confiance en son propre ministre, et moins encore en celui de son allié. Il y a ici force intrigues, et plus de peur encore de ces intrigues. La Russie se défie de l’Autriche par rapport à la Saxe, et l’Autriche craint la Russie par rapport à la Pologne Le soupçon est le trait dominant du caractère de l’empereur, et celui de Metternich fournit aux intrigans une matière facile à exploiter. »

Cependant ces entraînemens rencontraient des contradicteurs. Auprès de l’empereur Alexandre lui-même, la politique de ménagement et de circonspection avait des organes considérables. Non-seulement M. de Nesselrode, mais le prince Wolkonsky, le général en chef Barclay de Tolly, s’effrayaient de tant de précipitation. Les hommes qui possédaient le plus d’influence sur l’esprit du roi de Prusse ne partageaient pas non plus l’emportement du vieux Blücher et de ses lieutenans ; ils voulaient qu’avant de se porter aux dernières extrémités contre un ennemi encore redoutable, on examinât mûrement la situation, tant au point de vue militaire qu’au point de vue politique, qu’on pesât toutes les difficultés de l’entreprise, tous les moyens de les surmonter, et qu’on se mit d’accord sur le résultat qu’on voudrait en tirer.

La question du rétablissement des Bourbons commençait à se présenter à tous les esprits, mais d’une manière bien confuse encore. L’empereur de Russie s’y montrait peu favorable. Aux instances des émissaires de ces princes, il ne répondait que par ces paroles courtoises dont il était prodigue pour tout le monde ; il s’abstenait de leur donner aucun encouragement, bien qu’avec cette facilité d’espérance qui caractérise tous les émigrés, ils voulussent voir une promesse dans sa haine irréconciliable contre Napoléon. À ses alliés, il ne faisait pas difficulté de dire que les Bourbons ne lui paraissaient pas les plus dignes de monter sur le trône de France, et l’on avait quelque motif de craindre qu’il n’inclinât à appuyer les projets de