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au ministère des affaires étrangères et l’ardent instigateur de la guerre de 1809 ; pour la Russie, le comte, depuis prince Razumofsky, qui, ambassadeur à Vienne quelques années auparavant, s’était fait remarquer parmi les plus violens ennemis de l’empereur des français ; pour la Prusse, le baron de Humboldt ; pour l’Angleterre, lord Calhcart, lord Aberdeen et sir Charles Stewart, représentans du gouvernement britannique auprès des souverains de Russie, d’Autriche et de Prusse. Le choix de plusieurs de ces négociateurs était loin d’indiquer des intentions conciliantes. Leurs pouvoirs les autorisaient à traiter, non pas seulement au nom des quatre cours, mais au nom de toute l’alliance. Le prince royal de Suède, toujours exigeant et soupçonneux, témoigna quelque déplaisir de n’être pas directement représenté dans le congrès. Lord Castlereagh lui fit dire que s’il y tenait absolument, on y recevrait son ministre, mais qu’alors il faudrait y recevoir aussi ceux des vingt-quatre gouvernemens engagés dans l’alliance, ce qui ne faciliterait pas la négociation. Il n’insista pas.

Si les noms des plénipotentiaires étaient peu rassurans pour Napoléon, les instructions dont ils étaient munis et qu’ils firent bientôt connaître avaient un caractère plus hostile encore. Renfermer la France dans ses anciennes limites sur le continent européen en lui restituant celles de ses colonies que l’Angleterre ne croyait pas avoir un grand intérêt à conserver, telle était la seule base sur laquelle les alliés consentissent à traiter, et ils déclarèrent que tout contre-projet qui s’en écarterait d’une manière tant soit peu essentielle serait repoussé de prime-abord. L’Angleterre avait exigé que les questions de droit maritime ne fussent pas même mises en discussion. Enfin il était entendu entre les confédérés que la France n’interviendrait pas dans la répartition des territoires dont on lui demandait la cession, c’est-à-dire que dans la réorganisation de l’Europe, dans les mesures à prendre pour établir cet équilibre politique auquel elle est si grandement intéressée, on ne tiendrait aucun compte de ses convenances ni de son opinion.

Telles étaient les conditions qu’on proposait au vainqueur de cent batailles, à celui qui, peu de mois auparavant, était encore le maître de l’Europe. À vrai dire, personne ne pensait sérieusement qu’il put les accepter ; lord Castlereagh en convenait dans sa correspondance avec lord Liverpool. Le but qu’on se proposait, que se proposaient du moins plusieurs des parties intéressées, c’était de laisser la porte ouverte à une négociation pour le cas où la guerre viendrait à mal tourner, et cependant de traîner les choses en longueur afin de se réserver le bénéfice des événemens qui semblaient dès lors menacer Napoléon d’une prochaine catastrophe.