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La bataille de Brienne venait effectivement d’abattre la dernière barrière qui parût s’interposer encore entre les alliés et Paris. Ils s’étaient absolument refusés à une suspension d’armes que la France avait sollicitée pour faciliter les travaux du congrès. Napoléon, qui, quelques jours auparavant, donnait encore au duc de Vicence l’ordre formel de ne consentir à rien qui ne fût conforme aux propositions de Francfort, céda alors à l’accablement de la mauvaise fortune. Le duc de Vicence reçut, le 6 février, une dépêche du duc de Bassano, qui, au nom de l’empereur, lui donnait carte blanche pour arrêter les progrès de l’ennemi, sauver la capitale et éviter une bataille où étaient les dernières espérances de la nation. Le ton vague et confus de cette lettre, évidemment dictée par Napoléon, disait assez la situation désespérée qui la lui avait inspirée et la répugnance qu’il éprouvait à énoncer en termes précis les sacrifices accablans auxquels il se résignait.

Contre l’attente de ses adversaires mêmes, le grand empereur s’était donc décidé à subir l’humiliation profonde qu’ils voulaient lui infliger. On vit alors quelque chose de bien étrange. Au moment où le duc de Vicence se disposait à faire usage des pouvoirs qu’on venait de lui envoyer, et lorsque déjà il en avait laissé entrevoir toute l’étendue, les ministres des cours coalisées lui déclarèrent par écrit que, l’empereur de Russie ayant jugé à propos de se concerter avec ses alliés sur l’objet des conférences de Châtillon, et ayant ordonné à son plénipotentiaire de demander la suspension des conférences jusqu’à ce qu’il lui eût fait parvenir de nouvelles instructions, elles allaient en effet être suspendues et qu’on préviendrait le plénipotentiaire français du moment où elles pourraient être reprises. Le duc de Vicence protesta vivement contre un procédé aussi singulier, qu’on n’avait pas même cherché à couvrir d’un prétexte spécieux. Les alliés cette fois étaient évidemment dans leur tort ; il fut un moment possible de croire qu’ils auraient à s’en repentir.

En ce moment même Napoléon commençait une de ses plus mémorables campagnes, celle peut-être où il a acquis le plus de véritable gloire, parce que jamais il n’avait eu à combattre avec d’aussi faibles moyens des ennemis aussi nombreux et aussi acharnés. Les coalisés, croyant, après la bataille de Brienne, n’avoir plus d’obstacles sérieux à rencontrer sur la route de Paris, avaient divisé leurs forces pour en faciliter la marche. Tandis que la grande armée, composée des Autrichiens, des contingens des états secondaires de l’Allemagne, de la garde impériale russe, et commandée par le prince de Schwarzenberg, s’avançait par la vallée de la Seine, le maréchal Blücher conduisait par celle de la Marne l’armée prussienne dite de Silésie, renforcée de plusieurs divisions russes. Chacun se précipitait comme pour arriver le premier au but que l’on croyait déjà toucher.