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d’une voix unanime qu’on ne pouvait y voir qu’un refus. Le duc de Vicence s’étant récrié contre cette interprétation, ils le sommèrent de déclarer positivement s’il acceptait ou s’il refusait. Au moment où ils allaient lever la séance, ce qui n’eût été rien moins que la rupture du congrès, il se décida enfin à leur remettre une déclaration portant que l’empereur des Français était prêt à renoncer à toute souveraineté, suprématie, protectorat ou influence constitutionnelle quelconque en dehors des limites de la France, à reconnaître l’indépendance de l’Espagne sous la souveraineté de Ferdinand VII, l’indépendance de l’Italie, celle de la Suisse sous la garantie des grandes puissances, celle de l’Allemagne, celle de la Hollande, sous la souveraineté de la maison d’Orange, et enfin à faire à l’Angleterre des cessions au-delà des mers moyennant un équivalent raisonnable.

Trois jours après, le 13 mars, le congrès se réunit de nouveau. Les plénipotentiaires alliés signifièrent au duc de Vicence que leurs cours avaient jugé sa déclaration complètement insuffisante, en ce qu’elle ne s’expliquait pas sur plusieurs des questions posées dans le projet de traité. Ils demandèrent encore une fois une réponse précise et catégorique, et comme le ministre français essayait de gagner du temps, ou, pour mieux dire, d’amener ses adversaires à entrer avec lui en discussion réglée : « Je vois bien qu’il faut en finir, » s’écria le comte de Stadion. Poussé ainsi dans ses derniers retranchemens, le duc de Vicence promit de présenter un contre-projet complet, et ce ne fut pas sans peine qu’il obtint pour cela un délai de quarante-huit heures. Ce qu’on aura peine à croire, c’est qu’aux yeux de quelques-uns des plénipotentiaires il y eut dans de tels procédés un excès de condescendance et de courtoisie pour la France. Telle est pourtant l’opinion que sir Charles Stewart exprimait le jour même dans une lettre qu’il écrivait à lord Castlereagh, pour lui rendre compte de ce qui venait de se passer.

Le 15 mars, le duc de Vicence, à qui on avait refusé la veille un nouveau délai dont il aurait eu besoin pour prendre une dernière fois les ordres de son souverain, présenta enfin le contre-projet tant attendu. Voici quelle en était la substance : la Belgique et la rive gauche du Rhin seraient restées à la France ; le prince Eugène aurait eu le royaume d’Italie jusqu’à l’Adige, auquel on aurait joint les îles Ioniennes ; le roi de Saxe, le grand-duc de Berg, neveu de Napoléon, sa sœur la princesse de Lucques, les princes de Neuchâtel et de Bénévent, ses grands-officiers, eussent été maintenus dans leurs états. Le plénipotentiaire français, en énonçant de telles propositions, ne pouvait se faire illusion sur l’accueil qu’elles rencontreraient ; aussi s’empressa-t-il d’ajouter qu’il était prêt à en discuter tous les articles dans un esprit de conciliation. Les ministres alliés se bornèrent à dire que la