Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/693

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont une sorte de journal de cette marche décisive. Elles retracent, avec la vivacité et le désordre du champ de bataille, cette lutte de quelques milliers de soldats français restés seuls en présence de la grande armée européenne, harassés, exténués, poursuivis à outrance, débordés dans toutes les positions qu’ils essayaient d’occuper successivement pour retarder sa marche précipitée et pour donner à Napoléon le temps de revenir au secours de Paris ; elles nous montrent les gardes nationales postées au passage des rivières ou s’appuyant des accidens du terrain pour seconder la résistance des troupes de ligne. On ne peut se défendre de quelque émotion en lisant ce tableau tracé par un ennemi de l’agonie du gouvernement impérial, de ces derniers et impuissans efforts de l’honneur militaire toujours vivant, et d’un patriotisme trop tard réveillé. Sir Charles Stewart lui-même, lorsqu’il raconte la journée de Fère-Champenoise, ce douloureux et glorieux combat qui n’a pas même eu parmi nous l’honneur d’un bulletin, ne peut s’empêcher de laisser percer une certaine sympathie pour ces cinq mille gardes nationaux de l’ouest qu’on vit alors, tombant à l’improviste au milieu des masses de la coalition, se former en bataillons carrés, rejeter toutes les sommations, toutes les adjurations que l’empereur Alexandre, saisi de pitié, leur faisait parvenir pour les décider à mettre bas les armes, repousser plusieurs attaques, poursuivre leur marche en faisant feu comme des vétérans aguerris, et enfin, entourés de toute part, foudroyés, déchirés par la mitraille, ne succomber que sous la charge furieuse d’une innombrable cavalerie.

Le 29 mars, tandis que Napoléon, averti trop tard des mouvemens des alliés, accourait pour défendre sa capitale, ramenant des frontières de la Lorraine quarante mille hommes qu’il avait encore sous son commandement, les armées ennemies prenaient position devant les hauteurs de Montmartre, et le 30 au soir sir Charles Stewart datait de Belleville, près Paris, une lettre qui commençait ainsi : « Après une victoire brillante, Dieu a livré la capitale de l’empire français entre les mains des souverains alliés, juste rétribution des calamités infligées à Moscou, à Vienne, à Madrid, à Berlin et à Lisbonne, par le désolateur de l’Europe. » Le 31, las vainqueurs firent leur entrée solennelle dans les murs de Paris. Sir Charles Stewart, dans son enthousiasme, crut voir la population tout entière arborant la cocarde blanche et poussant des acclamations en faveur des Bourbons.


III

Je n’ai pas à raconter ici l’histoire de la restauration, à expliquer comment M. de Talleyrand, fixant enfin les irrésolutions de l’empereur