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Alexandre, le décida à rétablir le trône des Bourbons, comment sortit, des entraînemens libéraux du monarque victorieux et des calculs intéressés de l’homme d’état, le gouvernement constitutionnel qui devait régir la France pendant trente-quatre années. Ce grand changement fut, dans la coalition, l’œuvre exclusive d’Alexandre. Tout se décidait auprès de lui dans un conseil intime où siégeaient, avec M. de Nesselrode, M. d’Anstedt et le général Pozzo di Borgo, ennemis mortels de Napoléon. Le roi de Prusse, peu porté à l’initiative et séparé en ce moment de son principal ministre, n’était consulté que pour la forme. Le prince de Schwarzenberg, généralissime autrichien, d’un caractère naturellement facile, n’essaya pas même, en l’absence de l’empereur François et de M. de Metternich, d’exercer quelque influence sur des événemens où il s’agissait pourtant du sort de la fille et du petit-fils de son maître. Quant à l’Angleterre, je l’ai déjà dit, elle n’était représentée au grand quartier-général que par lord Cathcart et sir Charles Stewart, qui restèrent étrangers à ce qui se passait. On voit même, par la correspondance de sir Charles, qu’il en était assez mal informé. Cette circonstance ne dut pas peu contribuer à lui faire voir avec humeur et défiance des faits qui, au surplus, étaient de nature à inquiéter la politique d’un ministre anglais et à blesser les préjugés d’un tory. Rendant compte, le 4 avril, à lord Liverpool de la révolution qui s’accomplissait sous ses yeux, il exprimait la crainte que M. de Nesselrode et le général Pozzo lui-même, malgré son habileté consommée, ne fussent pas de force à tenir tête à M. de Talleyrand et ne se laissassent entraîner par lui ; il accusait M. de Talleyrand de tout organiser d’avance dans la pensée de se rendre maître absolu, d’annuler le nouveau roi, et déjà il croyait le voir aussi puissant par l’intrigue et l’artifice que Napoléon l’avait été par son immense force militaire ; il déplorait l’absence de lord Castlereagh, qui laissait le champ libre aux combinaisons les plus dangereuses pour l’Angleterre, et il semblait redouter surtout la conclusion entre la France et la Russie d’arrangemens commerciaux réciproquement favorables aux intérêts des deux pays, mais contraires aux intérêts britanniques. « Il est évident, disait-il, que la politique de l’empereur de Russie a été plutôt de coqueter avec la nation française que de faire une déclaration publique et manifeste au sujet de Louis XVIII… Il s’est conduit avec tant d’adresse depuis son arrivée ici, qu’on ne saurait calculer le degré d’influence qu’il a obtenu sur l’opinion parisienne. »

Cependant la joie que la chute de Napoléon inspirait à sir Charles Stewart faisait plus que compenser le mécontentement qu’il éprouvait à d’autres égards. Sa haine, loin d’être adoucie par le spectacle de cette grande infortune, trouvait une vive satisfaction à voir l’homme qui avait si longtemps joué le premier rôle sur le théâtre