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humain vous démontrent que tout est perdu, un rayon éclate, un peu de poussière se soulève, et c’est la victoire ! Dans son admirable mémoire aux états-généraux, Marnix a tout pesé à la balance de l’homme d’état et du grand citoyen ; mais il y a une chose qu’il n’a pas comptée et qui déjoue tout son calcul de désespoir, c’est que près de lui un enfant, un roseau, Maurice, fils de Guillaume, va surpasser son père.


XII

Telles étaient au fond les dispositions d’esprit de Marnix, lorsque s’ouvrirent les travaux du siège d’Anvers. Il cacha également aux assiégeans et aux assiégés son découragement ; aujourd’hui que son secret nous est connu, il est impossible de ne pas être frappé de la confiance superbe, de l’attitude enjouée et railleuse qu’il affecte pendant le siège, suivant les récits de tous les contemporains et principalement de Strada. À peine le bruit de la mort d’Orange est-il divulgué, que beaucoup de gens parlent tout haut de la nécessité de se rendre ; Aldegonde répond en faisant décréter la peine de mort pour quiconque proposera de capituler[1].

La place d’Anvers était alors ce qu’elle est aujourd’hui[2], un arc tendu dont la corde est le rivage de l’Escaut. Le système de défense indiqué par la nature des choses consistait à percer les digues qui contiennent le fleuve et à se couvrir ainsi de l’inondation. On réussissait par-là à se protéger contre l’ennemi, et à garder ses communications avec la Zélande. Si l’on parvenait à ce résultat, les approches étant rendues impossibles à une armée de terre, et la ville s’approvisionnant sans obstacle par eau, il était à penser qu’avec les moyens de guerre employés au XVIe siècle, le siège serait interminable, ou tout se réduirait à une action navale, et la supériorité croissante de la flotte hollandaise ne permettait pas de douter du résultat. Mais pour cela il fallait deux choses : d’abord que l’on se couvrit réellement de l’inondation du fleuve, sans nul égard pour les intérêts particuliers, puis que l’on pût compter en temps opportun sur la coopération de la flotte hollandaise. On verra bientôt que ni l’une ni l’autre de ces conditions ne fut remplie, sans qu’il y eût en cela aucune faute d’Aldegonde.

  1. « La mort tragique du prince d’Orange n’avait en rien diminué le zèle d’Aldegonde, et personne n’entrait encore avec plus de fureur dans les passions qu’il avait inspirées aux peuples qu’il avait séduits. » (Bentivoglio.)
  2. Strada, De Bello Belgic, t. II, p. 112. — Bor, II, p. 500, 507, 596. — Meteren, liv. XII, p. 250. — Baudart, les Guerres de Nassau, 1616. — Schiller, Troubles des Pays-Bas.