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longtemps épuisés. Une population de cent mille habitans était aux abois. Malinos, Bruxelles, Gand, s’étaient rendus, et les assiégeans avaient grossi l’armée qui investissait Anvers. Aldegonde eut recours à un expédient suprême ; il tenta de renvoyer de la place[1] quarante mille bouches inutiles. Par ce moyen, on gagnerait quelques joins, il proposa même de comprendre dans ce nombre sa femme et ses enfans, qu’il avait retenus pour prêter sa confiance aux autres. Le bruit se répandit qu’il se préparait à égorger les catholiques ; beaucoup feignirent de le croire, et la mesure proposée devint impossible. On se contenta de renvoyer par une porte quatre mille affamés qui rentrèrent par une autre. N’ayant plus rien à espérer des confédérés, Marnix consent enfin à traiter, à condition qu’il sauvera la liberté de religion. Dans les conférences qu’il eut avec le duc de Parme, l’éloquence du prince l’étonna, et lui-même avoue qu’il essaya de séduire son vainqueur. Du fond de l’Escurial, Philippe II voyait tout ; il écrivait qu’on eût à se défier de l’artifice d’Aldegonde[2], qui, sous couleur de traiter de la soumission de la Hollande, ne cherchait en effet qu’à gagner du temps. On s’arrêta aux conditions suivantes : Anvers rendu à l’Espagne, la vie sauve et les biens garantis de tous les habitans, quatre ans accordés aux réformés pour quitter le pays, la garnison libre de se retirer, Marnix s’engageant seulement à ne pas porter les armes pendant un an.

Telle fut la capitulation signée par Marnix à Bévéren le 17 août 1585. Trois jours après, les réformés tinrent leur dernier prêche au milieu d’un grand deuil. Ils avaient résolu de sortir d’un pays où il avait été impossible de sauver la liberté morale. Quand on ouvrit les magasins, on fut étonné de les trouver vides ; il ne restait plus pour un seul jour de vivres dans la ville.

Farnèse ne fit son entrée que le 30, suivi de moines émigrés ; il avait écarté de lui les Italiens et les Espagnols. Pour mieux masquer l’étranger, on ne voyait au premier rang que la noblesse catholique belge et plusieurs de ceux qui avaient signé le compromis de Marnix. Ils entrèrent le front haut dans l’apostasie et dans la servitude comme dans une conquête. On remarqua surtout le comte d’Egmont ; il ne fut pas arrêté par l’échafaud de son père.


EDGAR QUINET.

  1. Annal. Antverp., t. IV, p. 169.
  2. « El artificio de Aldegonde en haber tentado dilatar y dificultar el negocio. » Lettre inédite de Philippe II au prince de Parme, 17 août 1585. (Communiquée par M. Gachard.)