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par la bouche d’un Tudesque ; sa fureur n’y eût point tenu, et nous l’aurions vu brandir une fois de plus cette flamberge dont il aime tant à pourfendre les pédans. Quoi qu’il en soit, il y a du vrai dans cette critique de M. Spohr, un peu acerbe et renfrognée comme tout ce qui nous vient d’un confrère, d’un homme de l’art ou du métier, ainsi qu’il vous plaira de l’appeler, et dont le dernier argument, si vous le pressiez bien, finirait par se résumer en ces quatre mots : « Je trouve votre méthode mauvaise, parce qu’elle est contraire au système dans lequel je suis né. » Dieu nous garde d’être jugé par nos pairs ! Il n’y a pas, à mon sens, de pire tribunal, car c’est celui où siège l’envie.

À côté de M. Spohr et de M. Berton, que de musiciens, allemands, italiens et français, je vois s’escrimer péniblement contre cette gloire à laquelle on ne se lasse pas de reprocher sur tous les tons de ne pas être assez selon les règles ! Dans ce groupe d’aristarques et de mécontens, je distingue une figure que j’aimerais mieux n’y pas reconnaître : c’est Weber. Lui aussi, ce grand, cet immortel génie, ressentit de l’humeur en présence de cette renommée envahissante qui semblait pourchasser tout devant elle dans un tourbillon de poussière enflammée ; sa nature maladive et fière s’en aigrit. Passe encore pour de la critique ; mais des épigrammes de journaux ! mais de burlesques parodies ! On connaît le fameux sermon du père capucin dans le Camp de Wallenstein. Weber s’empare de ce texte qu’il s’évertue à travestir, dirigeant sur les trombones, les tambours, les petites flûtes et la grosse caisse toute cette artillerie de sarcasmes et d’invectives dont le moine narquois de Schiller se sert pour battre en brèche les fléaux du temps. — Deux amis discutent ensemble sur la musique, « Pardieu ! s’écrie Félix, qui, dans ce dialogue, joue le rôle du raisonneur, ce que je trouve bien autrement funeste que ces abus dont tu parles dans l’emploi des forces instrumentales, c’est cet affreux sirocco rossinien qui souffle du midi et menace de tout dévorer. Heureusement que le mal porte avec lui son remède : les gens piqués de la tarentule dansent tant et tant, qu’ils finissent par tomber épuisés, et alors ils sont guéris ! » À ces mots, le maître de musique assis au piano commence une tarentelle furieuse sur l’air di tanti palpiti, dont il intervertit les mouvemens d’une façon burlesque, et tandis que tout le monde éclate de rire, Diehl le personnage chargé d’égayer l’assemblée aux dépens du compositeur qu’on bafoue, Diehl s’enveloppe de son manteau, en rabat le collet sur ses oreilles en manière de capuchon, puis, montant sur une chaise, il débile la tirade du frère prêcheur de Wallenstein arrangée pour la circonstance, tournant contre l’école rossinienne les grotesques invectives dirigées par le moine de Schiller contre les soldats du duc de Friedland :