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privées, concerts publics, représentations dramatiques, Rossini défrayait tout ; on le chantait en allemand, on le chantait en italien. Cette musique, puisant dans la présence du grand artiste un élément de nouveauté, de vie et de succès, ravissait les cœurs, tournait les têtes, que c’était un délire, une frénésie, une vraie mode ! Et tous battaient des mains, tous étaient contens, tous, excepté la critique, qui, entraînée par l’irrésistible courant, suivait d’un pied boiteux le char du triomphateur en grommelant dans sa barbe qu’il y avait pourtant de quoi s’étonner de voir les maîtres nationaux sacrifiés ainsi à la gloire de ce musicien de fortune. Au milieu de cette rage d’invitations, de félicitations et d’ovations, Rossini ne sut bientôt auquel entendre ; les salons et les coulisses se l’arrachaient, on l’accablait de questions sur la manière dont il fallait rendre tel ou tel passage, et quand il avait répondu au ténor, à la prima donna, au basso cantante, c’était le tour du chef d’orchestre de l’interroger sur ses mouvemens. Un jour qu’il surveillait une répétition de la Cenerentola traduite en allemand, il lui arriva de se récrier sur la façon beaucoup trop lente dont on prenait les mouvemens ; mais comme il s’agissait d’un de ces morceaux bouffes, dans le style de Fioravanti, qu’on appelle nota e parola, le maître de musique lui fit observer que la langue allemande ne permettrait jamais à un chanteur cette volubilité d’élocution à laquelle se prête la langue italienne. « Eh ! que m’importent vos paroles ? reprit alors Rossini dans un élan de naïve et fougueuse indépendance ; je m’en moque bien de vos paroles ! c’est l’effet que je veux, entendez-vous ? l’effet. Che sono parole ? effetto ! effetto ! » A Vienne, Rossini fut en ce point servi selon ses souhaits. L’effet de la Zelmira, représentée à Kärtner-Thor (13 avril 1822), égala tout ce qu’on imagine ; l’enthousiasme tenait du délire. Après chaque scène, le maestro fut rappelé, et Mme Rossini, qui chantait le rôle qu’elle avait créé à Naples, partagea avec son illustre époux les