Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

première place parmi les historiens de son pays. Et ce n’est pas assez de signaler ces travaux ; comme toutes les natures fécondes, M. Ranke a exercé une influence magistrale, il y a une école entière qui relève de lui. J’ai dit que, dès son début à Berlin, M. Ranke avait organisé un séminaire, où de jeunes esprits s’habituaient sous son patronage aux sérieux labeurs de l’histoire. De 1837 à 1839, M. Ranke a publié les principaux résultats de ces conférences : c’est une série de mémoires qui, revêtus de ce même titre. Annales de l’empire d’Allemagne sous les empereurs de la maison de Saxe, exposent les règnes de Henri l’Oiseleur et des trois premiers Othon. L’ouvrage se compose aujourd’hui de trois volumes ; les deux premiers renferment le texte, le troisième est consacré à la critique des sources. Les studieux disciples avaient appliqué à cette période, la plus grande et la moins connue du moyen âge allemand, les recherches patientes et la sagacité politique dont le maître avait donné l’exemple. C’étaient M. George Waitz, M. Köpke, M. Wilhelm Dönniges, M. Giesebrecht, M. Wilmans et M. Hirsch, esprits sérieux, destinés dès lors, on le voyait sans peine, à soutenir dignement les promesses de ce début.

Ce n’est pas seulement en Allemagne que l’influence de M. Ranke a porté des fruits heureux. L’historien des papes avait fait de trop importantes découvertes dans les archives de Naples, de Rome et de Venise, pour que l’Italie restât indifférente à ses travaux. Il y a depuis une quinzaine d’années en Italie, à Florence surtout, un mouvement d’études historiques très digne de l’attention de l’Europe, et ce n’est que justice d’en rapporter une bonne part aux inspirations de l’écrivain allemand. On savait déjà le prix de certaines relations d’ambassadeurs italiens[1] ; qui ne connaît les Légations de Machiavel ? Ce qu’on ne savait pas encore, ce qui a été révélé aux érudits par les ouvrages de M. Ranke, c’est l’importance capitale de ces relations considérées dans leur suite et leur ensemble. M. Ranke y a signalé avec autorité une des sources les plus riches de l’histoire moderne. C’était là tout un événement dans le domaine de l’érudition, et depuis cette découverte de M. Ranke, les savans italiens ont employé tout leur zèle à tirer de l’oubli ces précieux documens. Une société s’est formée à Florence, sous le patronage d’un homme dévoué aux lettres, M. le marquis Gino Capponi, pour l’impression complète des relations vénitiennes. Un jeune écrivain, M. Eugène Alberi, qui avait publié en 1838 une belle étude sur Catherine de Médicis, fut désigné comme éditeur, et dès 1839 le premier volume

  1. On en trouve quelques-unes dans le Tesoro politico (1593), compilation attribuée à Francesco Lottini, et dans un autre ouvrage du même genre, les Lettere memorabili d’Antonio Bulifon (1698). Le doge Marco Foscarini, dans son curieux ouvrage della Letteratura Veneziana (Padoue 1752), avait donné d’intéressans détails sur un grand nombre de ces relations.