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images, par l’élévation constante de la pensée : si parfois il se laisse aller à la malice de son esprit, il n’en abuse jamais, et sait toujours s’arrêter à temps : preuve inestimable de modération qu’on ne peut trop louer. Il ne veut pas amuser, il veut instruire. Il ne se contente pas de nous révéler sa pensée, de nous la présenter sous une forme claire et précise ; il ne s’attache pas avec moins de soin, avec moins de constance à déposer dans l’âme du lecteur le germe des idées qu’il s’abstient d’exprimer. Il se plaît à exciter l’intelligence, à lui désigner des voies nouvelles. On dirait qu’il prend plaisir à tromper son lecteur sur la vraie mesure de ses forces, en lui laissant croire qu’il peut marcher seul et sans secours, et plus d’une fois en effet le lecteur s’abuse et prend pour siennes les idées et les sentimens que M. Villemain vient de lui suggérer. Qui oserait lui reprocher cet innocent artifice ? N’est-ce pas là une des applications les plus merveilleuses de l’éloquence ? Associer l’auditoire à l’accomplissement de sa tache, n’est-ce pas un des plus beaux triomphes de l’orateur ? Mais pour bien comprendre l’exactitude littérale de ces remarques, il faut avoir entendu M. Villemain dans sa chaire de la Sorbonne. La pureté de son style, qui est depuis longtemps un lieu commun, ne reproduit que d’une manière incomplète le charme et la puissance de sa parole : la génération qui se pressait sur les bancs de la Sorbonne dans les dernières années de la restauration n’a pas oublié, n’oubliera jamais ces leçons, tour à tour savantes et spirituelles, qu’elle recueillait d’une oreille avide.

Je choisis dans ces leçons, que la sténographie a reproduites avec une fidélité littérale, quelques-uns des grands noms qui ont dominé le XVIIIe siècle, et je me demande si dans le silence du cabinet, loin de l’auditoire, aujourd’hui dispersé, qu’il tenait suspendu à ses lèvres, M. Villemain ne trouverait pas quelque chose de plus à nous dire : ce n’est pas que je songe à lui reprocher de n’avoir pas épuisé son sujet ; il a mis à profit le conseil de La Fontaine, et je crois qu’il a bien fait ; mais tout en suivant ce conseil judicieux, ne pouvait-il, ne devait-il pas pénétrer plus avant dans les œuvres de Voltaire et de Rousseau, de Montesquieu, de Le Sage et de Prévost ? Je n’ignore pas tout ce que l’enceinte de la Sorbonne lui commandait de ménagemens. Cependant je crois que, sans manquer à la dignité, à l’austérité de son enseignement, il lui était permis d’aborder d’une manière plus directe et plus hardie les grands sujets que lui offrait le siècle dernier.

Tout en le remerciant des services immenses qu’il a rendus à la cause du bon goût, je pense qu’il n’a pas jugé assez sévèrement le théâtre de Voltaire. Lorsqu’il compare Zaïre et Othello, Hamlet et Sémiramis, s’il est juste pour le poète anglais, s’il en signale tous