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impossible de contrôler toutes ses affirmations. Qu’il me suffise de louer dans cet ouvrage les rapprochemens ingénieux que l’auteur a su établir entre les diverses contrées de l’Europe. Il a suivi le développement de l’esprit humain en France, en Italie, en Espagne, et mis à la portée de la foule les trésors réservés jusque-là aux savans de profession.

Ses études sur les trois plus grands poètes de l’Angleterre, Shakspeare, Milton et Byron, serviront de guides à tous ceux qui voudront connaître la littérature de nos voisins d’outre-Manche. En traçant le portrait de ces trois génies si divers, M. Villemain a fait preuve d’une rare sagacité. Et d’abord, je le remercie de nous avoir parlé de Shakspeare sans prendre parti ni pour ni contre l’école poétique de la restauration. L’opinion qu’il exprime est parfaitement désintéressée. Après avoir rappelé en quelques pages l’histoire des idées françaises en ce qui touche le théâtre anglais, il se dégage de tout esprit national, et apprécie en toute liberté les créations puissantes qui assurent au siècle d’Elisabeth une place si considérable dans les annales du génie européen. Plein de respect pour l’antiquité, il ne se laisse pas dominer par ses souvenirs, et comprend à merveille la vérité humaine, la vérité éternelle qui éclate dans Macbeth et dans le Roi Lear. Son goût si délicat et si pur ne se laisse effaroucher par aucune hardiesse. Nourri de la lecture de Sophocle, il ne juge pas le poète de Stratford d’après le poète d’Athènes, mais d’après la nature même de nos passions. C’était la seule manière de se montrer juste envers Shakspeare. Aussi M. Villemain a-t-il apprécié d’une façon excellente tous les mérites du poète anglais. Ses jugemens seront lus avec profit, même après les belles leçons de Wilhelm Schlegel sur le même sujet. Il n’y a dans son admiration rien d’exagéré, rien qui ressemble à un parti pris. Il exalte avec une vive sympathie tous les traits énergiques ou délicats qui font de Shakspeare un des plus grands peintres de la passion ; mais son admiration est toujours accompagnée du discernement le plus fin. Il sait la raison de ses louanges, il ne vante rien sur parole, et c’est la précisément ce qui donne un si grand poids, une si grande autorité à tous ses jugemens. Depuis Hamlet jusqu’à Roméo, depuis Othello jusqu’à Sliylock, il n’y a pas un seul des types créés par ce génie puissant qu’il ne caractérise avec précision. Il traduit dans une langue vive et colorée toutes les impressions qu’il a reçues, et associe le lecteur aux joies qu’il a ressenties.

Il y a dans cette magnifique étude quelques pages sur lesquelles je voudrais appeler l’attention d’une manière toute particulière : je veux parler des pages où M. Villemain caractérise à grands traits les drames historiques de Shakspeare, qui, dans l’édition publiée sept