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ans après sa mort par ses camarades Heminge et Condell, s’appellent tout simplement histoires. M. Villemain ne voit pas dans ces drames historiques le dernier mot de l’art ; mais il insiste avec raison sur la vie et la vérité qui éclatent dans ces immenses compositions. Sans les mettre sur la même ligne qu’Hamlet et Othello, il signale avec justesse la hardiesse et la fidélité avec lesquelles le poète a ressuscité le passé. Puis, détournant ses regards de l’Angleterre pour les reporter sur la France, il convie les poètes de notre pays à marcher sur les traces de Shakspeare, à tenter sur notre histoire ce qu’il a réalisé sur Richard III et Henri VIII. Le conseil est excellent ; pourquoi donc n’a-t-il pas été entendu ? Pourquoi nos poètes, au lieu de promener sur l’Europe entière un regard capricieux et distrait, n’ont-ils pas concentré sur la France toute la vigueur de leur esprit, toutes les ressources de leur imagination ? Il est vrai que pour marcher sur les traces de Shakspeare comme l’a fait Schiller, tout en gardant son originalité, il faudrait d’abord se résigner à l’étude de l’histoire, et c’est peut-être pour cette raison que jusqu’à présent les conseils de M. Villemain sont demeurés stériles. L’auteur de Richard III et d’Henri VIII, comme celui de Wallenstein et de Guillaume Tell, s’était préparé à l’invention par l’étude attentive des personnages qu’il voulait ressusciter. Il ne s’était pas nourri d’anecdotes et de pamphlets, et connaissait à merveille le règne entier qu’il allait peindre. Les poètes de nos jours ne cherchent dans les plus grands noms de l’histoire qu’un baptême pour leur fantaisie. Tant qu’ils n’auront pas renoncé à cette méthode puérile, le conseil de M. Villemain sera comme non avenu ; ses vœux et ses espérances resteront à l’état de rêves. Il y a pourtant dans la création d’un théâtre purement national de quoi tenter le plus beau génie. Eschyle et Shakspeare ont dû peut-être la moitié de leur gloire à l’évocation des souvenirs patriotiques.

Il faut encore louer sans réserve, dans l’étude de M. Villemain sur le poète de Stratford, la part faite au goût et la part faite au génie. Aussi savant que Samuel Johnson, doué d’un esprit plus pénétrant, l’écrivain français désigne d’une main plus sûre ce qui mérite le nom d’ébauche, ce qui doit prendre rang parmi les œuvres achevées. Dans les œuvres même les plus admirables, il ne croit pas que tout soit digne d’admiration, et ne craint pas d’indiquer des taches dans les créations les plus éclatantes. N’est-ce pas la seule manière d’honorer dignement le génie ? Une louange que la vérité n’a pas consacrée n’est qu’une louange de rhéteur.

Le portrait de Milton tracé par M. Villemain n’est pas moins intéressant que celui de Shakspeare. Parmi les nombreuses études écrites sur le même sujet de l’autre côté du détroit, je n’en connais pas une