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qui éveille autant d’idées. Pour dessiner cette grande figure, l’auteur a prodigué tous les trésors de son érudition. Après avoir esquissé en quelques traits rapides toute la vie politique du secrétaire latin de Cromwell pour les affaires étrangères, il aborde l’examen de ses œuvres. Or ces œuvres forment une véritable encyclopédie : grammaire, lexicographie, plans d’éducation, Milton a tout essayé avant de se réfugier dans la poésie comme dans un dernier asile, quand ses yeux furent fermés sans retour à la lumière. On ne peut penser sans étonnement et sans effroi à la prodigieuse quantité de travaux qui a rempli cette vie si malheureuse. Nous ne connaissons aujourd’hui que la gloire et le génie de Milton ; il faut lire dans M. Villemain par quelles épreuves ce génie si original et si fécond s’est préparé à l’accomplissement de la tâche qui assure la durée de son nom. L’écrivain français rappelle, avec une amertume trop facile à comprendre, que l’auteur du Paradis perdu est demeuré longtemps méconnu, et que sa vraie valeur n’a été révélée à l’Angleterre que par Addison. C’est une lamentable histoire qui ne pouvait trouver un narrateur plus habile et plus fidèle ; mais la partie biographique de cette étude est encore surpassée par la partie littéraire. M. Villemain discerne avec une rare sagacité, dans le Paradis perdu, les origines hébraïques, les origines homériques et virgiliennes, et il retrouve dans plusieurs pages de ce poème merveilleux le souvenir et l’écho de la révolution anglaise. Après avoir lu ces pages si fines et si savantes, nous gardons toute notre admiration pour le génie de Milton, et nous le comprenons mieux. M. Villemain, qui a vécu dans son intimité, qui a compté tous les battemens de ce cœur si rudement éprouvé, nous explique en maître consommé comment l’imagination de Milton, naturellement ardente, loin de s’attiédir dans les travaux de l’érudition, a puisé dans la lecture des prophètes et des grands poètes de l’antiquité une ardeur nouvelle, une sève plus vive et plus féconde. Jamais, je crois, les bienfaits et la puissance de l’étude n’ont été proclamés d’une manière plus éloquente. Tout en respectant les privilèges de la spontanéité, M. Villemain n’a pas de peine à démontrer que chez Milton l’érudition n’a pas engourdi l’élan du génie : il va même plus loin, et il a raison d’affirmer que Milton, écrivant pour un peuple habitué aux controverses théologiques, ne pouvait aborder un sujet tel que le Paradis perdu sans s’armer de toutes pièces.

Il parle avec de justes éloges des poésies latines de Milton, qui peuvent en effet se comparer, pour la grâce et l’élégance, aux meilleures productions du siècle d’Auguste. Cette partie de ses œuvres est à peu près ignorée en France. À peine quelques rares érudits ont-ils feuilleté ces poésies latines où la pensée s’épanouit avec une