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l’homme ; une manière de vivre nécessiteuse le dégrade. Ce sont les peuples les plus sauvages, ce sont ces hommes de la nature qui habitent les verdoyantes îles de la Mer du Sud, et qui donnaient à Rousseau la velléité de ramper sur ses quatre membres, qui nous présentent la vie la plus courte, l’organisation la plus débile. Les nombreuses découvertes dans les sciences et les arts ont prolongé la vie humaine au-delà des limites connues dans l’antiquité. Emilius Macer, dans ses considérations sur la lex Falcidia, réduit à une proportion singulièrement faible la durée de la vie que peut encore se promettre l’homme arrivé à un âge donné. Suivant ses calculs, on ne doit plus compter que sur vingt années à l’âge de trente-cinq ou quarante ans ; sur dix-huit années à l’âge de quarante ou quarante-cinq ans, et sur neuf années seulement quand on est parvenu à l’âge de cinquante ou cinquante-cinq ans. Les calculs fondés sur des observations récentes offrent encore une perspective de vingt-neuf années à l’homme âgé de quarante ans, et peuvent faire espérer une existence de vingt et une années à celui qui a atteint l’âge de cinquante ans. En Australie les hommes sont vieux à quarante ans et dépassent rarement la cinquantaine. Loin que les sauvages soient plus vigoureux que les hommes civilisés, nous voyons au contraire la force être en raison directe de la civilisation. Ainsi elle est de 58,6 pour les habitans de Timor, de 50,6 pour ceux de la Nouvelle-Hollande, de 69,2 pour les français, et de 71,4 pour les Anglais.

Telles sont les principales différences physiques que l’on remarque entre les hommes. Nous n’en avons donné qu’un aperçu rapide ; cependant on voit qu’elles sont considérables et peuvent servir de base à des classifications nombreuses, à des divisions bien limitées. Quelques auteurs cependant n’en tiennent aucun compte. Suivant eux, les différences physiques ne sont rien : il ne faut se préoccuper dans l’étude de l’homme que des qualités morales, des facultés intellectuelles. Or, disent-ils, chez tous les hommes, on a rencontré des institutions sociales de même nature ; tous connaissent la différence du bien et du mal, tous croient à un Dieu, à des peines et à des récompenses après la mort ; chez les naturels les plus grossiers de la Nouvelle-Hollande, on reconnaît tous les germes des sentimens et des idées qui, développés par la culture, donnent lieu chez les autres nations aux plus nobles manifestations de la nature humaine. Ils éprouvent tous, quelles que soient leur structure et leur couleur, l’amour, la colère, la haine et l’amitié. Les mêmes désirs, les mêmes aversions les font agir dans les steppes glacées de la Sibérie et dans les déserts brûlans de l’Afrique. Ils possèdent tous la même nature, si ce n’est la même dose d’intelligence. Tous enfin ont reçu du ciel ce don précieux auquel l’homme doit toute sa force, toute sa puissance, toute sa grandeur, grâce auquel il parvient à représenter les idées générales et à les graver facilement dans sa mémoire, et qui fournit aux individus des moyens de communication entre eux. Cette ressemblance, cette identité entre tous les hommes doit, dit-on, seule nous frapper. L’homme est un être intelligent ; il ne faut donc se préoccuper, en l’étudiant, que de l’intelligence ; c’est sur cette base seule qu’il faut établir des classifications, et, cette faculté étant partout la même, on doit en conclure que l’espèce est une, et que les distinctions établies entre les hommes sont passagères et sans intérêt.