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Cette théorie est vraie dans une certaine limite. L’intelligence en effet et la parole sont des facultés inhérentes aux hommes et qui établissent entre eux et les animaux une barrière infranchissable. Ce sont ces facultés qui avaient fait diviser le règne animal, par les philosophes de l’école, en animaux raisonnables et en animaux sans raison. Elles doivent nous empêcher d’adopter les idées de Linnée, qui plaçait l’homme dans la même classe que le singe et la chauve-souris. Cependant, si tous les hommes diffèrent des animaux par ces dons précieux, il n’en résulte pas qu’ils soient tous semblables, et qu’il n’y ait pas entre eux, même, sous ce rapport, des différences considérables ; On peut dire, j’en conviens, que la nature étant partout la même, les hommes ont dû nécessairement adopter les mêmes vérités et les mêmes erreurs dans les choses qui tombent le plus sous les sens et qui frappent le plus l’imagination. De ce que les instrumens intellectuels se ressemblent à peu près partout, doit-on conclure à une égalité absolue d’intelligence ? De ce que l’on admet, ce qui n’est pas même tout à fait démontré, que tous les hommes sont capables d’une certaine culture, on conclut à l’identité ; mais cette culture, nous ne l’avons reçue de personne, nous nous la sommes donnée à nous-mêmes. Elle n’est pas tombée sur nous du ciel comme une rosée bienfaisante ; nous la devons à nos propres forces, aux efforts de notre intelligence. Pourquoi tous les peuples ne sont-ils pas dans le même cas ? De ce qu’un nègre peut apprendre à calculer, en résulte-t-il qu’il puisse découvrir le binôme de Newton ? Si le Hottentot a les mêmes facultés que l’Européen, pourquoi n’a-t-il pas inventé l’imprimerie et la vapeur ? Peut-on comparer un instant ces Caraïbes vagabonds, grossiers, paresseux, sans lois, presque sans religion, étrangers à l’agriculture, pouvant à peine compter jusqu’à cinq, lorsque, suivant Gall, la pie elle-même peut compter jusqu’à neuf, dépérissant chaque jour et ayant aujourd’hui presque disparu comme ces animaux imparfaits que l’on retrouve dans le sein de la terre ; peut-on, dis-je, les comparer, l’organisation physique même étant mise à part, avec ces peuples sérieux, réfléchis, habiles dans tous les arts, ayant découvert toutes les sciences, jouissant de tous les bienfaits du luxe et de l’industrie, pleins de patriotisme et de fierté, qui aiment et qui savent respecter les lois avec passion, suivant l’expression de Montesquieu’ ? N’y a-t-il pas là des différences profondes et immuables qui suffiraient peut-être à elles seules pour fonder des classifications bien définies et profondément limitées ?

Malgré ces différences nombreuses dans les facultés intellectuelles, nous pensons qu’une bonne classification devrait reposer sur les diversités d’organisme. Il est probable du reste que, dans les deux systèmes, on arriverait à un résultat analogue. Occupons-nous donc seulement des différences organiques, et cherchons si elles sont permanentes. Un assez grand nombre de physiologistes, et M. Hollard est de cet avis, adopté déjà par M. Prichard dans un livre célèbre, ont pensé que les climats, les institutions, les coutumes diverses des nations peuvent expliquer toutes ces différences. L’expérience même nous apprend que la civilisation et l’état sauvage ont une grande action sur les formes extérieures du corps. Tous les animaux domestiques ont des couleurs et même des formes très différentes de celles qu’affectent ces mêmes animaux errant dans les forêts. Les chats sauvages sont