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tous gris et couverts de raies noires. Les chevaux abandonnés dans les plaines de l’Amérique prennent rapidement des caractères qui les distinguent des chevaux de nos écuries. Leur poil devient plus long, plus rude, plus touffu ; leur sabot se durcit, leur couleur même s’altère, et après une ou deux générations, ils sont tous bai-bruns. Ce n’est pas tout ; le squelette des animaux devenus sauvages se modifie. Entre le crâne du porc des étables et celui du cochon sauvage, il y a, suivant Blumenbach, la même différence qu’entre le crâne du nègre et celui du blanc civilisé. M. Solger a remarqué que chez les Hindous l’os de la jambe est très long, difformité qui se rencontre aussi chez la plupart des porcs de Normandie, sans que l’on ait songé à faire de cette race particulière une espèce à part. Les chiens sauvages n’aboient pas. Deux chiens amenés d’Amérique en Angleterre par le voyageur Mackenzie restèrent muets toute leur vie. Leur produit aboya en venant au monde. À la Nouvelle-Grenade, on trouve une variété de poules qui ont la crête, le périoste, l’intérieur de la bouche noirs ou d’un violet foncé (particularité qui se remarque aussi chez un grand nombre de femmes andalouses). Ce phénomène apparaît souvent chez des produits de poules ordinaires transportées dans ce pays. Suivant M. Roulin, il peut même se transmettre par voie de génération. Les moutons aussi éprouvent des changemens considérables dans leur structure, la nature de leur toison, la forme et jusqu’au nombre de leurs cornes, sans que l’on ait songé à distinguer plusieurs espèces parmi ces animaux. Leur queue est souvent mince et grêle, et se transforme parfois en une masse si énorme et si lourde, que certaines variétés ont besoin d’un petit chariot pour la porter. Tous ces exemples et une foule d’autres qu’il serait trop long de reproduire ici ont fait penser à quelques naturalistes que les climats et la manière de vivre peuvent avoir une grande influence sur la forme extérieure du corps. Pourquoi donc, disent-ils, ne pas attribuer les diversités des hommes aux lieux qu’ils habitent ? Pourquoi ne pas chercher la cause de la couleur foncée du nègre dans le soleil des tropiques, de la forme de son crâne et de la longueur de ses membres dans sa vie sauvage, de la laine qui couvre sa tête dans l’habitude de vivre au fond des bois ? Puisque toutes ces causes agissent sur les animaux, pourquoi n’agiraient-elles pas sur les hommes ? N’observons-nous pas tous les jours, dans les différentes régions d’une même contrée, que les campagnards ont la peau plus brune que les habitans des villes, que leur force est plus grande, leurs os plus solides ? Pourquoi distinguer plusieurs espèces parmi les hommes, lorsque l’on n’admet qu’une seule espèce de moutons, de chevaux et de chiens ? Les différences que nous remarquons entre un nègre et un Européen, un Mongol et un Américain, sont-elles plus profondes que celles qui séparent un chien danois d’un barbet, un chat sauvage d’un chat domestique ?

Ces raisonnemens seraient excellens, si l’on avait vu en effet les climats agir sur les hommes comme ils agissent sur les animaux, si même les modifications qu’éprouvent ces derniers pouvaient se comparer aux variations que nous présente le type humain ; mais, en changeant de climat, les animaux n’éprouvent pas des changemens beaucoup plus considérables qu’un homme lorsqu’il devient chauve, qu’il gagne ou qu’il perd de l’embonpoint ;