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comme dans la mer Baltique, les prisonniers faits sur des navires de commerce ont été rendus. But, moyens, exécution, tout a été en harmonie ; — à leur premier pas dans cette guerre, l’Angleterre et le France n’ont fait que suivre la voie où elles étaient entrées par leurs déclarations sur le commerce des neutres. Là se révèle leur véritable pensée, qui est de se borner aux hostilités nécessaires et de laisser le cours le plus libre possible à tous les intérêts commerciaux du monde. Qu’on remarque d’ailleurs que les déclarations de la Russie sur les neutres n’ont point le caractère libéral des déclarations de l’Angleterre et de la France. Non-seulement le gouvernement russe ne suit pas les deux puissances sur ce terrain, mais il désavoue les principes de son propre droit maritime. C’est ainsi que la Russie déclare de bonne prise tout navire à bord duquel se trouvent des objets de contre-bande de guerre, quelle qu’en soit la quantité, tandis qu’en vertu de ses anciens règlemens et du traité de 1787 avec la France, le navire neutre saisi se mettait à l’abri de toute capture par l’abandon au belligérant des objets illicites. C’est dans ces conditions que la lutte actuelle s’engage entre la Russie et les puissances occidentales. Là où l’empereur Nicolas porte une pensée d’ambition enveloppée d’une sorte de mysticisme religieux, les nations européennes s’avancent, tenant au bout de leur épée un intérêt clair, évident, reconnu par l’opinion universelle. La Russie dispose sans doute de puissantes ressources défensives ; de leur côté, l’Angleterre et la France proportionnent de plus en plus leurs moyens d’action au caractère sérieux et au développement probable de la lutte. Le cabinet anglais vient de demander au parlement une augmentation nouvelle des forces de terre et de mer ; le gouvernement Français vient de décréter la formation de deux camps, — l’un de cent mille hommes à Saint-Omer, l’autre de cinquante mille hommes à Marseille. — imposantes réserves disposées pour tous les événemens.

C’est assurément un des caractères de la guerre actuelle qu’il faille en chercher les élémens sur bien des points, — aux bords du Danube, à Constantinople, à Vienne ou à Berlin, en Epire ou à Athènes. Opérations des armées, rôle des puissances allemandes, insurrection grecque, tout cela se mêle, tous ces élémens ne font que montrer sous ses faces diverses la grande question qui tient l’Europe en suspens. Quel est aujourd’hui l’état de la guerre sur le Danube. L’armée russe ne semble pas avoir porté ses positions au-delà de la Dobrutscha. Elle a borné jusqu’ici ses opérations au passage du fleuve, tandis que d’un autre côté elle évacuait la Petite-Valachie. Le maréchal Paskevitsch est maintenant à sa tête. Quant aux divers engagemens qui ont pu avoir lieu entre les troupes russes et les troupes turques, quant au siège de Silistria, c’est là que commence l’incertitude, que nul des belligérans n’a sans doute envie de faire cesser. Le plan d’Omer-Pacha est probablement d’attendre la présence des armées européennes. À Constantinople, c’est justement dans l’arrivée de ces armées que se concentre l’intérêt le plus actuel. Les troupes françaises et anglaises débarquent successivement à Gallipoli ou à Constantinople même. Un incident sérieux cependant et inattendu semble être venu un instant faire quelque diversion : c’était une difficulté survenue tout à coup entre l’ambassadeur de France, le général Baraguey-d’Hilliers, et le divan au sujet de l’expulsion des Hellènes, suite de la rupture récente entre la Porte