Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/843

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui pousse les populations grecques à une lutte sans résultat possible et à des désastres sans gloire ? Par elles-mêmes, les insurrections de l’Épire et de la Thessalie n’eussent été que des mouvemens sans force et sans durée, s’il n’y eût eu l’évidente et permanente complicité du gouvernement hellénique. Ce malheureux gouvernement semble s’enfoncer chaque jour davantage dans la voie, sans issue où il s’est engagé. Ici, comme dans le Monténégro, quelle est la part de la Russie ? Elle ne saurait être douteuse, d’après le rôle des agens russes répandus dans ces contrées. À Athènes, c’est par des envois d’argent que l’empereur Nicolas entretient l’esprit insurrectionnel. Le cabinet grec reçoit, dit-on, un subside d’un million par mois. Et sait-on le véritable résultat de ces tentatives ? C’est que le royaume hellénique est livré à l’anarchie et au pillage. La piraterie a recommencé à infester les mers de Grèce ; dans l’Épire et dans la Thessalie, de tels excès ont été commis par l’insurrection, que ces malheureux chrétiens qu’on allait délivrer ont dû, sur plus d’un point, faire appel d’eux-mêmes aux autorités ottomanes pour les garantir de leurs étranges libérateurs. En fin de compte, ces déplorables mouvemens n’auront servi peut-être qu’à affaiblir l’intérêt qui s’attacha longtemps au nom de la Grèce et aux efforts de ses populations pour retrouver sinon la gloire d’une race illustre, du moins une civilisation plus élevée et plus régulière. Le gouvernement grec n’aura pas peu contribué à cette déception nouvelle : il y aura contribué en la favorisant. Rien ne peint mieux la position où s’est placé le cabinet d’Athènes que les divers actes diplomatiques qui se sont succédé en quelques jours.

Lorsque le chargé d’affaires de la Porte a signalé les connivences du gouvernement grec dans les insurrections de l’Épire, ce gouvernement n’a trouvé rien de mieux que de rejeter sur la Turquie le tort d’une invasion du territoire grec, et il a adressé sa note aux représentans des puissances protectrices. Toute vérification faite, il s’est trouvé qu’il n’y avait absolument rien de vrai dans cette assertion, et les ministres de France et d’Angleterre ont dû le rappeler avec sévérité au cabinet du roi Othon. Il est certain que le gouvernement grec n’a cessé de méconnaître les représentations que n’ont cessé de lui adresser lu France et l’Angleterre, et non-seulement il les a méconnues, mais il les a dissimulées au pays lui-même ; il a laissé croire aux populations qu’il ne faisait qu’obéir aux inspirations de la politique occidentale. Les chambres elles-mêmes ont été dissoutes sans avoir reçu aucune communication sur l’état réel du pays. Maintenant l’insurrection semble à demi vaincue dans l’Épire. Le camp de Peta, qui était l’un des points disputés, est resté au pouvoir des Turcs ; les volontaires grecs ont été battus et dispersés ou rejetés vers leurs frontières. Le gouvernement hellénique ne semble point cependant abandonner ses projets. Il imagine, assure-t-on, un nouveau plan qui consisterait à réorganiser l’insurrection par une sorte de hiérarchie établie entre les chefs, et à entrer résolument lui-même en lutte avec la Turquie. L’exécution de ce plan serait confiée au général Spiro Milio, grand écuyer de la couronne, fort connu pour ses relations avec la Russie, et au général Vlacopoulos. Le mouvement est partout : à Athènes, les enrôlemens se poursuivent, des députés se dirigent vers la frontière pour ranimer l’insurrection découragée ; il y a mieux, les fugitifs qui rentrent à Athènes sont emprison-