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plus charmans de l’heure actuelle. Analyse pénétrante et vive, verve ingénieuse et aimable, fantaisie gracieuse habilement mêlée à une réalité finement observée, il réunit ces traits divers. Esprit différent de l’auteur du Caprice, assez différent pour avoir son originalité, il est entré dans la même voie, et il y a trouvé la Crise, la Partie de Dames, le Pour et le Contre, la Clé d’Or, toutes ces compositions délicates auxquelles il vient de joindre le Cheveu blanc, l’Hermitage, Dalila. Quel est l’intérêt de ces morceaux ? C’est l’art des nuances, la finesse dans le développement d’une idée juste, dans l’expression d’un sentiment honnête et sain. Ce n’est pas que l’imagination de M. Feuillet n’aime les aventures ; mais ce sont des aventures modérées. Voyez ses héroïnes : il les conduit à travers toutes les péripéties du sentiment et de la passion mondaine ; il se plaît à leur faire jouer de ces parties quelquefois assez périlleuses où heureusement tout finit bien. Entre la chute et la fidélité, qu’y a-t-il souvent ? Un cheveu blanc qu’on aperçoit, et ce cheveu blanc sert de lien à de nouvelles amours plus tranquilles. Ainsi finissent les proverbes de M. Feuillet, qui excelle dans ces conversations élégantes où toutes les grâces de l’esprit servent à débattre souvent les plus délicates questions de conscience, M. Feuillet ne s’est pas toujours borné là, et cet instinct moral qui se laisse voir dans ses proverbes semble prendre une force singulière dans Dalila. Il s’empare d’un de ces types qui par malheur ne sont point une invention : c’est l’artiste faible et vaniteux, avide de luxe et de plaisir, qui se croit d’une espèce particulière, et qui, entre une jeune fille simple et aimante et une femme environnée de tout l’éclat mondain, laisse mourir la jeune fille pour aller épuiser son génie dans la surexcitation d’un amour flatteur pour son orgueil. Ainsi la saine inspiration se dégage, et les libertés de la verve ne font que la rendre plus saillante.

Voyez au contraire ce que M. Alexandre Dumas fils parvient à faire du plus gracieux des sujets, de la Vie à vingt ans ! On imagine peut-être, quelque vive et fraîche esquisse des premières années, avec leurs entraînemens sans doute, mais aussi avec leur grâce. Il n’en est rien. C’est la plus grossière analyse des plus vulgaires corruptions des sens. L’auteur fait presque une anatomie de l’amour sous toutes ses formes, excepté sous la forme seule digne de fixer un esprit bien inspiré, et ce n’est point certes le moins triste spectacle, que celui d’une imagination jeune elle-même se complaisant dans ces peintures dont le sujet ne peut toujours se dire. Crébillon fils peut se passer d’héritiers, et nous ne voyons pas ce que peut gagner le talent de M. Dumas dans cette étrange atmosphère. N’y a-t-il pas d’ailleurs quelque chose de particulièrement choquant à défigurer ainsi cet âge, qui reste pour tous éternellement l’âge de la poésie, des illusions, des enthousiasmes rapides, des idéales passions ? Qu’on nous montre la folie de vingt ans, les amours faciles si l’on veut : tout cela peut avoir sa grâce encore, pourvu que ce soit touché d’une main légère, et que toute cette ardeur première reste comme une rapide évaporation de jeunesse ; mais qu’on ne nous montre pas de si subtils casuistes des sens ! La littérature n’est point encore, ce nous semble, un cours affecté aux cas de ce genre. S’il était vrai que la jeunesse de notre temps eût les précoces corruptions du héros de M. Dumas fils, il n’y aurait rien de bien rassurant pour son avenir. Heureu-