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sement il n’en est point ainsi, la vie à vingt ans, même aujourd’hui, se compose de bien d’autres choses ; elle peut nourrir de sérieuses préoccupations et des pensées déjà viriles. Ce n’est point certes non plus dans cet ordre d’inspirations dont le livre de M. Dumas est le fruit que les talens jeunes encore trouveront le secret de se grandir eux-mêmes et de rajeunir l’esprit littéraire de notre temps. Il y a des conditions plus élevées, plus sérieuses, plus dignes d’être poursuivies par toutes les imaginations qui sentent en elles quelque ressort et quelque instinct de l’art littéraire.

L’Europe a ses préoccupations puissantes, peu littéraires aujourd’hui, et ses incidens variés ; le Nouveau-Monde a sa vie propre, ses faits de tout genre qui s’enchaînent et se déroulent sur cet immense théâtre de l’Amérique du Nord et de l’Amérique du Sud. Les faits ne sont pas toujours dignes de cette scène grandiose : ils sont souvent tristement vulgaires, d’autres fois empreints d’une étrange brutalité. Ce qui leur donne un intérêt particulier, c’est qu’au-dessus de tout, au-dessus des révolutions sans grandeur de l’Amérique du Sud, comme au-dessus de ces suggestions de la force qui sont trop souvent le cachet de la politique de l’Amérique du Nord, il ne cesse d’y avoir ce problème saisissant de sociétés qui se forment et s’élaborent sous nos yeux. De là le caractère des questions qui surgissent et sont l’aliment habituel des préoccupations universelles. Ce sont des territoires à peupler, des industries à créer, des fleuves à transformer en artères de civilisation, des communications à ouvrir à travers les continens. Quelle était une des questions qui s’agitaient récemment aux États-Unis, dans le sénat ? C’était une discussion sur la distribution des terres et sur les avantages à offrir aux étrangers. Les émigrations ont été indubitablement depuis un demi-siècle un des élémens principaux de l’immense accroissement des États-Unis, C’est un élément d’agrandissement, et c’est aussi un élément de péril : malgré ce qu’il y a de puissant dans ce mélange de toutes les raves sur le sol de l’Union, malgré la rapidité avec laquelle toutes les populations étrangères semblent se transformer et entrer pour ainsi dire dans le moule américain, il reste à se demander ce que produira ce travail gigantesque, joint à l’esprit de conquête qui ne fait qu’accumuler les élémens d’incohérence. Il s’est trouvé plus d’une voix dans le sénat pour combattre le système des distributions gratuites des terres et les avantages trop multipliés en faveur d’étrangers qui ne sont pas encore dans le pays, ou qui interviennent souvent dans les affaires publiques. Poser cette question, qui n’est point résolue encore, c’est poser la question même de la civilisation américaine, qui trouve sa force et son péril dans les émigrations, devenues un des faits les plus considérables de notre temps.

La politique au reste compte plus d’un autre incident caractéristique aux États-Unis. L’un des plus récens et des plus remarquables est la discussion du traité Gadsden par le sénat. Le traité Gadsden, on le sait, est celui qui a été négocié, il y a quelques mois, avec le Mexique, qui stipule à prix d’argent la cession aux États-Unis d’une portion assez étendue du territoire mexicain, et qui règle la question de la voie de communication à ouvrir par l’isthme de Tehuantepec. Tel qu’il était sorti de la main des négociateurs, ce traité a été sur le point d’être entièrement condamné par le sénat, malgré les efforts du président, M. Franklin Pierce, et des ministres. Ce n’est qu’avec des amende-