Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/864

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mission Menchikof, témoignait une confiance légèrement nuancée d’inquiétudes inavouées dans les assurances de l’empereur Nicolas. Il ne faisait pas difficulté, du reste, de professer sur la question d’Orient les principes de M. de Metternich : rien d’isolé à Constantinople, respect de cette sage politique qui a ramené dans le concert des grandes puissances les questions relatives à la Turquie, maintien de l’empire ottoman, responsabilité terrible pour la puissance, quelle qu’elle soit, qui porterait la première atteinte aux traités qui la garantissent. « Moi, je veux espérer que le malade peut vivre, » disait à cette époque l’empereur François-Joseph, sans se douter que ce malade avait été condamné deux mois avant par l’empereur Nicolas dans ses entretiens avec sir Hamilton Seymour.

La première surprise du gouvernement autrichien fut l’ultimatum adressé parle prince Menchikof à la Porte. La forme que l’ambassadeur russe avait donnée à ses dernières négociations était de nature, indépendamment du fond, à choquer un diplomate scrupuleux comme M. de Buol. On ne pose un ultimatum avec un délai fixe que sur des violations de traités, on ne peut appuyer d’une contrainte semblable la demande de concessions nouvelles. Telle fut au premier abord l’opinion de M. de Buol. Il ne se prononçait pas encore sur le fond : il espérait que les négociations du prince Menchikof ne seraient point ratifiées à Pétersbourg. Il ne voulait pas croire que la Russie se laissât aller aux extrémités belliqueuses annoncées par l’ultimatum du prince. Pourquoi s’exposerait-elle à compromettre sa belle armée ? Pour arriver à Constantinople ? Mais à quoi bon Constantinople sans les Dardanelles ? Et comment prendre les Dardanelles contre les puissances maritimes ? C’était une affaire sans issue où la Russie n’irait pas s’engager pour sauver la retraite de son violent et maladroit ambassadeur. Aussi, quand à la fin de mai le ministre de France et l’ambassadeur d’Angleterre firent au ministre autrichien leurs premières ouvertures pour arriver au règlement de la question par le concert des cinq puissances, M. de Buol, tout en constatant l’identité de sa politique avec celle de la France et de l’Angleterre et en acceptant le principe de la délibération en commun, en ajourna-t-il l’exécution, dans l’espoir que l’événement la rendrait inutile.

Mais l’ambassadeur de Russie, M. de Meyendorf, arrivant à Vienne au commencement de juin, fit tomber cette première illusion. M. de Meyendorf, qui est, comme on sait, le beau-frère de M. de Buol, apprit au ministre autrichien que la conduite du prince Menchikof avait été hautement approuvée à Saint-Pétersbourg, et l’ultimatum de M. de Nesselrode confirma aussitôt celui de l’ambassadeur russe. On passa en un moment, dans le cabinet de Vienne, de l’optimisme à l’effroi. Le gouvernement autrichien était pourtant, comme nous l’avons