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dont les sympathies de 1828 s’étaient singulièrement refroidies ; leur bonne contenance dans les premières opérations de la campagne leur ramena l’estime des militaires, et le gouvernement ne put que s’applaudir de les voir capables d’opposer une résistance qui diminuait ou ajournait les périls que les rapides succès des Russes auraient fait courir à ses intérêts danubiens. Au moment de la déclaration de la guerre, dix jours avant l’ouverture des hostilités, le gouvernement prit une mesure qui, dans l’état de ses relations antérieures avec la Russie, avait une signification caractéristique. Il opéra dans l’armée une réduction de près de cent mille hommes. L’Autriche voyait la Russie, son intime alliée, s’engager dans la guerre ; elle savait que l’appui moral donné à la Turquie par la France et l’Angleterre pouvait d’un jour à l’autre se convertir en appui matériel, et c’était le moment qu’elle choisissait pour remettre l’épée au fourreau. C’était dire à la Russie : « Je ne serai pas avec vous dans cette guerre, tandis que je reste avec la France et l’Angleterre pour le rétablissement de la paix aux conditions qu’elles vous proposent. » Par ce désarmement, l’Autriche n’aliénait donc qu’une seule liberté, celle de faire cause commune avec cet intime allié, qui devenait tout à coup son plus dangereux adversaire. C’était le premier avertissement qu’elle donnait à la Russie. On ne se trompa point à Pétersbourg sur le sens de cette neutralité partiale en faveur des puissances occidentales : on en conçut une aigreur contre l’Autriche, qui perça, bientôt avec violence dans le langage de tous les agens russes.

Pour apprécier au point de vue de l’action la position occupée par l’Autriche à ce moment, on doit tenir compte des considérations suivantes. En premier lieu, la France et l’Angleterre devaient s’attendre à voir l’Autriche plus confiante, et en tout cas plus persévérante que nous dans la négociation ; il était naturel que l’empereur François-Joseph se fit même un devoir de lutter contre son propre découragement, et ne voulût pas que la Russie eut à lui reprocher une seule démarche qui n’eût pour but la paix tant que la paix ne serait pas rompue de fait. Il faut observer en second lieu que, malgré cette disposition du gouvernement autrichien, à chaque mesure plus vigoureuse prise par la France et l’Angleterre, il se lia plus étroitement à nous. À chaque pas en avant des puissances maritimes dans l’action répondit un pas en avant de l’Autriche dans la négociation : après la déclaration de guerre de la Turquie, la constitution officielle de la conférence ; après l’arrivée de nos flottes dans le Bosphore, le protocole du 5 décembre ; après leur entrée dans la Mer-Noire, le protocole du 13 janvier. Il y a même lieu de croire que si l’on nous désirait à Vienne modérés dans les termes et dans la forme de la négociation,