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« Les soussignés, après avoir soumis à l’examen le plus attentif les propositions susdites, ont constaté dans leur ensemble et dans leurs détails des différences tellement essentielles avec les bases de négociations arrêtées le 31 décembre à Constantinople et approuvées le 13 janvier à Vienne, qu’ils ne les ont pas jugées de nature à être transmises au gouvernement de sa majesté impériale le sultan. »


Dans l’audience de l’empereur où l’envoyé russe lui exposa l’objet de sa mission, la neutralité de l’Autriche, l’empereur lui répondit par une question : il demanda au comte Orlof si l’empereur Nicolas maintenait l’engagement qu’il avait pris envers lui de ne pas passer le Danube, de respecter l’intégrité de l’empire ottoman, l’état politique actuel de ses provinces européennes, enfin de ne considérer l’occupation des principautés que comme un fait temporaire dont le terme serait fixé par le rétablissement de la paix. Le comte Orlof n’ayant pas cru pouvoir répondre affirmativement à cette question, l’empereur, en termes nets et catégoriques, déclara que non-seulement il ne prendrait pas l’engagement qui lui était demandé, mais que, — le Danube franchi et par conséquent les principes réservés par l’Autriche mis en péril, — fidèle aux doctrines qui avaient servi de base à son union avec les puissances alliées, il n’aurait plus qu’à aviser à la protection des intérêts de son empire. Le ministre des affaires étrangères tint le même langage à l’envoyé russe, et le comte Orlof résuma lui-même le résultat de sa mission en s’écriant : — « Mais vous voulez donc nous rendre la guerre impossible ? Autant nous la déclarer ! »

« La première phase est bien épuisée aujourd’hui ! » avait dit le comte de Buol au moment où la conférence se séparait après la signature du protocole du 2 février. Aussitôt qu’il eut connu l’objet de la mission du comte Orlof, les contre-propositions qui prouvaient que la Russie n’avait pas l’intention de traiter sérieusement, et la demande de neutralité, qui annonçait qu’elle voulait la guerre, le gouvernement autrichien commença les préparatifs militaires. Vingt-quatre heures après la première conférence du comte Orlof avec l’empereur, l’ordre fut donné de concentrer immédiatement un corps de trente mille hommes sur la frontière de Transylvanie, c’est-à-dire à la limite de la Valachie. Le comte Orlof n’était point encore parti qu’une des premières brigades comprises dans ce rassemblement de troupes quittait Vienne pour se rendre à sa destination. Quelques jours après, quarante mille hommes étaient réunis sur le pied de guerre dans le Banat.

L’impression produite à Vienne par l’échec du comte Orlof fut immense. Au début de la question, dans quelques salons entichés de la Russie, on ne comprenait pas que l’Europe ne se concertât point pour forcer la Porte à subir les exigences de l’empereur Nicolas.