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des propositions du 13 janvier, le gouvernement russe n’avait eu évidemment qu’un but, éloigner l’Autriche des autres puissances par des concessions purement apparentes de nature à flatter sa vanité, et dissoudre ainsi la conférence. La loyauté de l’Autriche était sortie triomphante de cette délicate épreuve.

La Russie put s’en convaincre en recevant en même temps et le protocole qui rejetait ses préliminaires, et la sommation des puissances maritimes d’évacuer les principautés, et la dépêche de M. de Buol au comte Valentin Esterhazy, ambassadeur d’Autriche à Pétersbourg, qui accompagnait et appuyait cette sommation. La dépêche de M. de Buol motivait l’adhésion de l’Autriche à la démarche des puissances maritimes, 1° en se référant à l’opinion exprimée dès le principe par le gouvernement impérial sur l’occupation des principautés, qualifiée d’acte d’agression aussi injustifiable vis-à-vis de la Turquie que peu conforme aux égards dus à l’Europe ; 2° en faisant envisager les conséquences désastreuses d’un refus ; 3° en mettant la responsabilité de la guerre dont ce refus serait le signal à la charge du cabinet de Saint-Pétersbourg ; 4° en rappelant la réponse du cabinet autrichien au comte Orlof, réponse qui avait rendu à l’Autriche sa liberté d’action. L’empereur d’Autriche ne voulait pas désespérer qu’une politique si peu d’accord avec celle qu’il était appelé à suivre lui-même ne fût abandonnée par son auguste allié et ami ; si toutefois il en était autrement, si cette malheureuse guerre devenait inévitable, l’empereur d’Autriche ne connaîtrait plus d’autres devoirs que ceux que lui imposeraient les intérêts de ses peuples. L’avertissement donné à la Russie par M. de Buol était sévère et se terminait, comme on voit, par une menace transparente.

La phase des négociations était bien finie avec Saint-Pétersbourg, et la conclusion en était la séparation complète de l’Autriche et de la Russie. On a pu remarquer en effet que, depuis ce moment, le cabinet russe, dans les essais de négociation qu’il a tentés encore, sinon pour traiter sincèrement, du moins pour séparer de nous les puissances allemandes en leur créant une situation intermédiaire entre les états maritimes et la Russie, ne s’est plus adressé à l’Autriche ; c’est à la Prusse qu’il a fait l’honneur peu enviable d’envoyer les ouvertures portées par le duc George de Mecklembourg, et c’est la Prusse qui a présenté à l’Europe occidentale ces offres illusoires et intempestives. La Russie n’a plus même cherché à obtenir le concours de l’Autriche pour ce faux semblant de négociation : elle sait que depuis le protocole du 5 mars, la résolution du cabinet de Vienne est fermement arrêtée sur ce point, à savoir que si la Russie veut la paix, elle doit demander aux puissances maritimes leurs propres conditions, et que ce n’est que derrière le Pruth qu’elle l’obtiendra.