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à se rapprocher de l’Angleterre qu’à s’unir à nous. La politique anglaise de 1848 et de 1849, les insultes au général Haynau, les ovations à Kossuth avaient laissé à Vienne des ressentimens difficiles à vaincre, et qui n’auraient peut-être pas été surmontés sans les bons offices de la France. On pressent les qualités que la politique française a dû déployer pour réussir à Vienne : la loyauté des intentions sans cesse démontrée par la modération des actes, le désintéressement, la patience, la docilité aux conseils d’une prudence qui pouvait paraître quelquefois de la timidité, ce sont pour ainsi dire les qualités passives avec lesquelles il fallait gagner la confiance de l’Autriche. La France a su y joindre les qualités contagieuses et décisives de l’action : sagacité, vigilance, fertilité de combinaisons, initiative et promptitude des résolutions. Nous voyons avec orgueil par les documens anglais que c’est à notre ministre des affaires étrangères et à notre représentant à Vienne que revient l’initiative de tous les actes importans, note de Vienne, protocoles du 5 décembre et du 13 janvier, projet de convention qui est devenu le protocole du 9 avril. Tous ces actes sont partis rédigés de Paris avant que la conférence ne leur donnât le caractère de verdicts européens. De notre côté, les noms de M. Drouyn de Lhuys et de M. de Bourqueney demeureront donc attachés au souvenir de ce succès, qui fait trop d’honneur à notre diplomatie et sert trop nos intérêts pour que la France n’en soit point fière et reconnaissante.

La gloire du côté de l’Autriche est pour l’empereur François-Joseph, secondé par son habile ministre. Les négociations qu’il vient de diriger donnent à M. de Buol une place élevée parmi les hommes d’état contemporains. M. de Buol était peu connu jusqu’ici ; il avait occupé l’ambassade de Londres dans des circonstances qui condamnaient cette ambassade à un rôle pénible, effacé. Les personnes qui avaient pu l’observer à la légation de Turin à la veille de 1848, dans une position plus difficile encore, avaient déjà su apprécier en lui une sagesse et une dignité de tenue qui annonçaient un mérite supérieur, mais qui ne le révélaient point au public européen. La crise actuelle a fourni à M. de Buol une scène digne de lui ; elle a montré que le prince de Schwarzenberg ne s’était point trompé en le désignant, avant de mourir, au choix de l’empereur. Si, d’après ce que nous avons entrevu de sa politique, il nous était permis de porter sans témérité un jugement sur cet homme d’état, nous dirions que M. de Buol est un des esprits de ce temps-ci les mieux réglés et les plus maîtres d’eux-mêmes. Intelligence ouverte, attentive, prévoyante, capable de mesurer toutes les difficultés, toutes les gradations d’une situation, la patience parait être en lui une forme de la fermeté. Quoiqu’il prenne son parti longtemps d’avance, il sait épuiser jusqu’au bout une conduite qu’il s’est tracée, et, le moment venu