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autre il lançait des regards pleins d’une sainte colère contre la vile populace qui tourbillonnait sous ses pieds. Au-dessus de la loge du pacha était suspendu un portrait en pied représentant le roi Louis-Philippe en uniforme de lieutenant-général de la garde nationale; puis dans les autres travées c’étaient des voyageurs de toutes les nations, jaloux de joindre les détails d’une scène excentrique à la série de leurs impressions de voyage. Vous retrouviez là dans toute leur pureté ces traits caractéristiques des diverses nations qui résisteront longtemps encore au nivellement des mœurs européennes. Voyez en effet ce personnage bien rasé, bien cravaté, bien nourri, paletot sur le bras, parapluie dessous; est-il besoin d’un second coup d’œil pour déclarer que c’est là un touriste anglais ? Peu enthousiaste, peu communicatif, mais aussi peu gênant, il voyage sans bruit, sans embarras, et se considère comme aussi at home sous sa tente au pied des Pyramides qu’il peut l’être dans son appartement de Piccadilly. Ce monsieur barbu, à l’air affairé, familier et bon enfant, a évidemment reçu le jour dans la belle France; à lui le monopole de la poésie du voyage, les découvertes et les aventures. Quels dangers n’a-t-il pas courus au milieu des féroces Arabes Anésis qu’il a sabrés si galamment! Et cette délicieuse Rosine de harem, qui, subjuguée par son regard magnétique, a su tromper à son profit un Bartholo oriental ! Parlons un peu période des Séleucides, ou de cette merveille d’art koufique qu’il a découverte entre deux temps de galop et trois bouffées de cigare, et qui jette un jour tout nouveau sur l’histoire des premiers âges. Ajoutons à ces diagnostics qu’un Français voyageur est invariablement décoré, chargé d’une mission de son gouvernement et daguerréotypeur. Une mention spéciale à un gentilhomme finlandais, joli petit vieillard gras, lustré, pimpant, dévot, pèlerinant en Terre-Sainte avec une foi digne des premiers âges, et joignant à un bagage de voyage très comfortable un aumônier et un autel portatif, sur lequel il se faisait servir chaque matin une légère messe !

L’agitation redoublait dans la cohue pressée autour du saint sépulcre : c’étaient des cris, des trépignemens, toute l’attitude en un mot d’un public mal élevé, impatient de voir apparaître l’artiste en vogue; mais rien ne décelait des pèlerins venus de pays lointains et près d’accomplir l’un des actes les plus solennels de leur croyance. Le miracle lui-même au reste, en sa qualité sans doute de bon miracle, d’une notoriété incontestable et incontestée, s’annonça à l’avance par rentrée dans le sanctuaire d’une compagnie de troupes régulières turques de fort belle tenue. J’ai souvent admiré la patience des policemen de Londres et des gardes municipaux de Paris, mais je ne croyais pas que la mansuétude humaine put arriver aux