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les plus flatteuses de la cour et notamment de la part de Mme la duchesse de Berry, il vit bientôt pleuvoir sur lui les distinctions et les faveurs. La maison du roi voulut traiter l’auteur de Tancredi et d’Otello en compatriote, et fit pour lui à l’instant ce qu’elle faisait pour MM. de Lamartine, Victor Hugo et tant d’autres gloires nationales qui figuraient sur le livre de ses pensions. M. de La Rochefoucauld, qui présidait alors à l’administration des beaux-arts, offrit à Rossini la direction du Théâtre-Italien, attributions que celui-ci eut grand soin de décliner, aimant mieux, en qualité de compositeur ordinaire, se réserver une influence omnipotente. Dès ce jour, les opéras de Rossini s’emparèrent du répertoire d’une façon presque exclusive ; lui-même, selon ses engagemens, surveillait la mise en scène, travail qui du reste ne l’induisait guère en frais d’imagination, et qui, selon l’antique usage pratiqué de tout temps en Italie, consistait à faire du nouveau avec du vieux. Ce fut ainsi qu’à l’occasion du sacre de Charles X il composa le Voyage à Reims, boutade inspirée par la circonstance, et dans laquelle, parmi divers fragmens empruntés à d’anciens ouvrages, on distingue deux ou trois admirables morceaux enchâssés plus tard dans le Comte Ory.

Cependant l’Académie royale de musique voulut à son tour avoir sa part des œuvres du génie que préconisait l’Europe entière. Rossini se ressouvint du Maometto, cette partition grandiose méconnue de Naples et de Venise, ignorée de Paris, — et, démolissant l’édifice premier de fond en comble, il en tira, comme d’une carrière de marbre, les élémens du Siège de Corinthe. La même chose eut lieu à deux ans de distance pour Mosè, qui vit se développer encore ses proportions, s’augmenter ses richesses mélodiques, et parut sur la scène française comme transfiguré par cet art merveilleux que possèdent seuls les maîtres d’accorder le ton général d’un tableau avec le goût traditionnel du pays auquel ils le présentent.

C’est que Rossini, apportant à la France l’initiative de ses idées, subissait l’action irrésistible de Paris, qui semble avoir pour privilège de s’approprier en les modifiant toutes les découvertes de l’esprit humain, toutes les tendances du génie. S’il y a au monde un genre de production qui porte en soi le caractère cosmopolite, c’est à coup sûr l’opéra, en ce sens que les variétés nationales du style musical y disparaissent complètement. Ce que furent jadis Rome et Naples comme centres où venaient se réunir tous les fils de cette trame singulière, Paris l’est aujourd’hui. Ici en effet, les nuances caractéristiques s’effacent, les aspérités se dérobent, les styles se confondent. On dirait l’immense caravansérail où fraternisent sur le chemin de La Mecque toutes les nationalités errantes, le champ de mai universel où l’Italie et l’Allemagne échangent leur originalité respective sous