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Au nombre de ces coryphées de l’ancien style dont le patriarche Zingarelli dirigeait le bataillon sacré figurait aussi le marquis Zergalli, antagoniste fougueux et passionné de la musique de Rossini, qu’il appelle une musique volcanique[1]. « Les compositions de Rossini, dit-il, lorsqu’on les étudie d’un point de vue plus élevé, sont loin d’avoir l’importance que la mode leur attribue, et chez lui le mérite de l’invention n’est point tel qu’on se l’imagine. Je citerais vingt maîtres italiens ou allemands auxquels il ne se fait point faute d’emprunter journellement leurs idées, qu’il se charge ensuite d’arranger en compilateur fort habile[2]. Quelle différence avec les maîtres du temps passé, avec les compositeurs classiques du XVIIIe siècle, cet âge d’or de l’harmonie et de la mélodie ! Ceux-là du moins appartiennent à l’histoire et ne vieilliront pas. » Toujours la même désolante préoccupation, toujours le même besoin d’opposer le passé au présent ; on ne demande pas à un homme si, sa nature étant donnée, il en a su tirer tout ce qu’elle contenait de fécond et de grand, on veut le rattacher par force à cette tradition dont il a rompu la chaîne. — Pourquoi n’êtes-vous pas Haydn, Mozart ou Haendel ? « Et vive Dieu ! monsieur, parce que je suis Rossini, et qu’alors même que j’eusse été assez fou pour m’en donner la peine, je n’aurais jamais fait, croyez-le bien, qu’un assez triste Haydn et qu’un pire Mozart ; mieux vaut encore rester Rossini et s’appliquer de tous ses efforts à être ce qu’on est dans les meilleures conditions possibles[3]. »

Rossini et Bellini étaient restés conséquens avec eux-mêmes jusqu’au jour de leur période française. Moins doué d’originalité que ces deux maîtres, Donizetti expérimenta. Sa fidélité au premier style de son adoption ne dépassa guère l’époque de son obscurité[4]. Dès ses premiers succès, il s’appropria les élémens de tous les genres, prenant un peu son bien chez tout le monde, combinant avec la plus aimable et la plus heureuse insouciance Rossini et Meyerbeer, Auber et Bellini. Qui ne se rappelle, en écoutant l’Elisir d’amore,

  1. Il va sans dire qu’en opposition à ces réactionnaires, il y avait les panégyristes quand même, les ultras, ce Luigi Prividali, par exemple, qui prétendait que le titre seul d’un opéra de Rossini suffisait pour répandre d’avance partout l’idée de la suprême perfection.
  2. « Je prends mon bien où je le trouve, » disait Molière. Un jour Rossini, écoutant un mauvais opéra, saisit au passage une idée qui le frappe ; il tire son crayon, la note pour s’en servir dans l’occasion, et se contente de grommeler : E troppo buouo per questo c… « C’est trop bon pour cet imbécile. »
  3. Tels sont les propres termes dans lesquels en 1822 il s’expliqua à Vienne à ce sujet.
  4. Cette obscurité, si je m’en fie à l’auteur des Promenades dans Rome, durait encore en 1828. « Mme Lampugnani nous a menés, Frédéric et moi, au concert que donnait Mme Savelli. La musique était plate, ce qui ne m’a pas surpris ; elle est du maestro Donizetti. Cet homme me poursuit partout. » Et plus loin : « La musique étant nauséabonde, j’ai fait la conversation, etc. » Beyle, Promenades dans Rome, t. II, p. 3.