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barbares qui, pour être selon les règles, ne nous en écorchent pas moins le tympan par leurs soubresauts et leurs contrecoups ; déclamation instrumentée que traversent de rapides éclairs, mais qu’on ne saurait appeler un opéra ! »

Sans adopter intégralement toute la solution du critique milanais, il faut bien convenir cependant qu’il y a du vrai dans ce qu’il dit, et j’ajouterai que si les docteurs de Berlin et de Leipzig connaissent à merveille le côté faible et vulnérable de la musique italienne, en revanche les écrivains italiens, quand ils s’en mêlent, trouvent à l’endroit de la musique allemande des argumens qui sont loin d’être dénués de valeur. Rousseau, qui se rattachait de son temps aux principes que représente aujourd’hui Rossini, observait avec raison que, s’il s’agissait tout simplement de lui donner le spectacle d’une tragédie, mieux valait s’en tenir à la déclamer, la musique étant un art indépendant et libre, un art ayant l’oreille pour domaine, comme la peinture et la poésie ont les yeux et le cœur pour royaume. Autour de Gluck se rangeaient alors, on le sait, les partisans de l’opinion contraire : antagonisme éternel du Nord et du Midi, vieille querellé que les fougueux débats du XVIIIe siècle n’ont point tranchée et qui subsistera aussi longtemps que la musique elle-même ! D’ailleurs, peut-être qu’il ne serait pas si difficile de s’entendre ; il suffirait pour cela d’aller au fond des choses, attendu que les partisans de Gluck n’ont jamais pu nier la mélodie, pas plus que les prosélytes de Piccini n’ont pu nier l’expression dramatique. Qui donc oserait prétendre qu’il n’y a que de la déclamation harmonique dans Alceste, dans Iphigénie, dans Orphée, dans cette mélodieuse partition d’Orphée, qui fut le triomphe de Guadagni, et dont le virtuose par excellence, Rubini, se complaisait en ses meilleurs jours à nous rendre les pathétiques beautés ? Bien loin de négliger la mélodie, Gluck la recherche et la caresse, volontiers il la reproduit sous toutes ses formes, et ce n’est pas lui qui refuserait de payer à l’oreille le tribut qu’elle réclame, d’autre part, où voit-on que les Piccini, les Paisiello, les Cimarosa fassent défaut systématiquement à l’expression ? J’en dirai autant de Rossini, a qui nul ne contestera d’avoir, par un de ces coups de fortune qui n’arrivent qu’au génie, su combiner dans le trio de Guillaume Tell le naturel et la clarté du style italien avec ce que l’accent dramatique de Gluck a jamais rencontré de plus sublime. Si la paix entre l’Italie musicale et l’Allemagne avait pu être fondée, Rossini eût certainement été l’homme de cette transaction. Élève de Haydn dans l’emploi des instrumens, il connaît à merveille l’art des dissonances et des modulations, et s’il introduit le clair-obscur dans son harmonie, jamais il n’en surcharge le tableau. Avant lui, aucun maître italien ne s’était tant avancé du côté de l’Allemagne, et ses