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les Kubeïshas, etc. L’ensemble de ces familles constitue ce que l’on peut appeler le pur sang arabe.

Existe-t-il des signes caractéristiques pour reconnaître un animal de pur sang, un sujet de telle ou telle race ? J’ai encore précisé davantage cette question, en priant les connaisseurs de me décrire tantôt un cheval des Nedji-Saklawy-Djedran, les Montmorency de la race chevaline, tantôt un Kubeïshas, c’est-à-dire, pour continuer l’analogie nobiliaire, une bonne noblesse de province pouvant monter dans les carrosses du roi, mais rien de plus. J’ai toujours obtenu la description qu’a donnée Buffon de la plus noble conquête faite par l’homme sur les animaux, avec cette variante toutefois qu’en ce pays un beau cheval doit avoir le ventre gros. Je crois donc, jusqu’à plus amples informations, pouvoir résoudre la question par la négative, et dire qu’il n’existe point de signes caractéristiques pour distinguer les familles entre elles. L’œil du connaisseur reconnaît le pur sang arabe comme il reconnaît le pur sang anglais; mais il faut avoir recours aux documens généalogiques pour classer l’animal dans telle ou telle famille, de même qu’il faut avoir recours au stud-book pour distinguer un produit de Royal-Oak d’un produit de Gladiator.

Les chevaux de pur sang arabe ont-ils un stud-book, un arbre généalogique quelconque qui atteste la pureté de leur descendance ? Certains voyageurs ont affirmé qu’il existait des familles de chevaux arabes dont on pouvait retracer par documens écrits la généalogie jusqu’aux jours du roi Salomon. Les Arabes, gent fort poétique, comme chacun sait, ne pouvaient manquer d’encourager ces croyances naïves et profitables. Ils ont aujourd’hui des légendes à l’usage de leurs chevaux héroïques, dont ils donnent très volontiers connaissance aux voyageurs. J’en reproduis une comme modèle du genre, celle qui illustre la biographie du premier Sacklawy-Djedran connu. — Aux jours du prophète, un enfant, jouant avec des chevaux, fut tué près des tentes. Fathmé, fille de Mahomet, désira connaître le coupable et assembla les chevaux de la tribu, le sommant de se déclarer dans un speech éloquent, perdu malheureusement pour l’art oratoire. Aucun des coursiers interpellés n’ayant voulu toutefois assumer la responsabilité du forfait, la fille du prophète fit creuser un large fossé, et plaça de chaque côté une jarre pleine d’une crème épaisse comme la glace, puis elle ordonna aux chevaux de franchir l’obstacle. L’ordre fut exécuté, et la surface des deux vases resta immobile jusqu’au moment où le Saklawy-Djedran accomplit le saut. Le choc que son élan imprima à la terre fut tel que la surface des deux vases se fendit comme si elle eût été coupée avec un couteau. Ce simple indice révéla à l’habile princesse le coupable, qui s’excusa d’ailleurs en attribuant le meurtre à l’impétuosité irrésistible et