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pour comprendre - et je suis hors d’état de vous faire concevoir - le degré d’exaltation frénétique qui existe ici au sujet de la traite. Le public semble penser qu’il conviendrait à la politique de l’Angleterre de faire la guerre pour mettre fin à cet abominable trafic. »

Le gouvernement britannique s’efforçait donc d’amener tous les autres gouvernemens européens à adopter le grand principe qu’il avait proclamé. Il ne pouvait trouver de difficultés à y déterminer les puissances du Nord, de l’Allemagne et de l’Italie, qui, n’ayant pas de colonies, étaient tout à fait désintéressées dans une telle réforme. La Hollande, qui avait un pressant besoin de l’alliance anglaise, s’y prêta aussi de bonne grâce. L’Espagne et le Portugal, qui croyaient ne pouvoir conserver et exploiter leurs vastes possessions d’Amérique qu’au moyen d’esclaves incessamment recrutés sur les rivages africains, devaient être moins faciles à convaincre : malgré les immenses services que l’Angleterre leur avait rendus, ce ne fut qu’avec beaucoup de temps, à force d’insistance, et en leur assurant des dédommagemens pécuniaires, qu’elle obtint de ces deux pays des engagemens qui, il y a bien peu d’années encore, étaient ouvertement violés au Brésil, et surtout dans l’île de Cuba.

Quant à la France, le traité de Paris lui avait imposé l’obligation de supprimer la traite dans cinq années au plus tard, et « d’unir ses efforts, dans le futur congrès, à ceux de sa majesté britannique, pour faire prononcer par toutes les puissances de la chrétienté l’abolition d’un genre de commerce que repoussent les principes de la justice naturelle et les lumières du temps. » Telles étaient les expressions du traité ; mais une semblable stipulation, qui laissait encore un répit à ce fléau de l’humanité, ne suffisait pas aux abolitionistes. Le cabinet de Londres, sous la pression du sentiment public, chargea donc le duc de Wellington de travailler à obtenir la cessation immédiate de la traite. La chose n’était rien moins qu’aisée ; la correspondance de l’ambassadeur avec Wilberforce, qui lui écrivait souvent pour stimuler son zèle, explique très bien quel était alors en France l’état de l’opinion sur le point dont il s’agit.


« Il n’y a dans ce pays, disait-il, que très peu de personnes qui aient porté leur attention sur la traite des esclaves, et ces personnes sont des colons ou des spéculateurs en fait de traite, qui ont tout intérêt à la maintenir. Je suis lâché d’être obligé de dire que la première de ces deux classes d’hommes est très puissamment représentée dans la chambre des pairs, et c’est une chose vraiment incroyable que l’influence exercée par les propriétaires de Saint-Domingue sur toutes les mesures que prend le gouvernement. On veut assez. sottement établir une liaison entre la proposition d’abolir la traite et certains souvenirs des jours révolutionnaires de 178 et 1790, et cette proposition est généralement impopulaire. On ne croit pas que nous soyons de bonne foi à