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attitude qui faisait de lui en apparence le premier personnage du congres, et en réalité il réussit à y faire prévaloir non pas peut-être les résolutions les plus avantageuses pour le pays, mais celles qui étaient le plus conformes aux vues actuelles de son gouvernement.

Ce qu’on aurait peine à se persuader, si les témoignages les plus formels n’en donnaient la preuve irrécusable, c’est que le gouvernement français à cette époque désirait la guerre. Les Bourbons se sentaient mal établis sur un trône où leur restauration avait été le résultat des revers de nos armées et avait coïncidé avec la perte de toutes nos conquêtes. Inquiets des graves mécontentemens qui commençaient à se développer après le premier enthousiasme que le retour de la paix avait fait éclater en leur faveur, ils eussent voulu, pour s’affermir, apporter à la France une dot de gloire militaire et d’agrandissemens territoriaux. Ils voyaient de grands avantages à occuper ainsi les esprits, à tirer d’une dangereuse oisiveté ce nombre prodigieux de généraux et d’officiers qu’on avait dû mettre en inactivité, et que l’ennui, la misère livraient aux plus dangereuses tentations. À cette époque d’ailleurs, on s’était habitué à considérer la guerre comme l’état normal des nations, et les intervalles de paix comme des espèces de trêves nécessaires pour renouveler de temps en temps les forces épuisées par des luttes trop vives. Personne, ni en France, ni dans le reste de L’Europe, n’imaginait alors que la paix qui venait d’être conclue pût durer au-delà de quelques années ; personne ne pensait que la France pût se résigner longtemps aux énormes sacrifices qu’on lui avait imposés. Et cette perspective d’un nouvel appel aux armes n’effrayait pas autant les imaginations que pourraient le croire les générations actuelles, élevées dans des idées si différentes : le commerce, l’industrie, les intérêts matériels, compromis par vingt années d’hostilités non interrompues, n’avaient pas pris alors le développement prodigieux qui, en intéressant de nos jours tant d’existences au repos du monde, lui a donné de si puissantes garanties.

Les lettres écrites par le duc de Wellington à son gouvernement contiennent de curieux détails sur cette disposition de la cour des Tuileries. Les témoignages qu’il en recueillait, il ne les puisait pas dans ses entretiens officiels avec M. de Jaucourt, chargé de la direction des affaires étrangères pendant le séjour à Vienne de M. de Talleyrand : M. de Jaucourt, dont le crédit auprès du roi n’était pas très grand, eût donné aux négociations, s’il en avait été le maître, une direction vraiment pacifique ; mais le ministre influent, le favori du roi, le rival dans le conseil de M. de Talleyrand, M. de Blacas, avec qui l’ambassadeur d’Angleterre entretenait des rapports habituels et confidentiels, exprimait de tout autres sentimens. Le duc de Wellington