Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne pouvait s’empêcher d’éprouver quelque inquiétude de la vivacité hautaine avec laquelle on traitait à Paris toutes les questions, de l’affectation qu’on mettait à relever, à aggraver les incidens dont pouvait sortir, de quoique côté que ce fût, une occasion de querelle et de rupture. Il racontait comment, le chargé d’affaires d’Espagne s’étant permis de faire arrêter un réfugié espagnol par un commissaire de police qui avait eu la sottise de s’y prêter, le roi, poussé par les membres de sa famille et malgré les représentations réitérées de M. de Jaucourt et des autres ministres, avait fait conduire à la frontière le malencontreux diplomate sans en donner avis préalablement au cabinet de Madrid, sans lui demander d’abord une réparation. Il montrait le gouvernement français méditant une expédition pour renverser Murat, et ne reculant pas même devant la pensée de porter ses armes en Allemagne pour défendre le roi de Saxe, que le roi, disait M. de Blacas, ne laisserait pas détrôner. « Et comme j’essayais, ajoutait le duc de Wellington, d’appeler son attention sur les dangers que la guerre pourrait entraîner pour la maison de Bourbon, il m’a répondu que ces dangers n’existaient pas, pourvu que nous ne prissions pas parti contre la France, et que, dans certains cas, la paix recèle plus de périls que la guerre la plus malheureuse. » La lettre dans laquelle l’ambassadeur rendait compte à lord Castlereagb de cet entretien est du 9 octobre 1814. Le 5 novembre, il lui écrivait encore : « Je viens d’avoir une entrevue avec M. de Blacas. Je l’ai trouvé fort mécontent de l’obstination de l’empereur de Russie par rapport à la Pologne et à la Saxe… Il m’a dit que ce qui en résulterait, ce serait très probablement que le roi et le prince-régent retireraient leurs ministres du congrès, en déclarant qu’ils ne reconnaîtraient pas de tels arrangemens, et que l’Europe resterait dans un état fiévreux qui, tôt ou tard, aboutirait à la guerre. »

Comme on l’a vu, lord Castlereagh, pour qui toute la politique du congrès se résumait dans la question de Pologne, dont il faisait la base de l’équilibre européen, reprochait à M. de Talleyrand de ne pas s’en préoccuper assez et de se perdre dans des questions de détail. Le duc de Wellington s’en plaignit à M. de Blacas, qui, dans sa malveillance pour M. de Talleyrand, fit très bon marché de sa politique et promit de lui faire envoyer l’ordre d’unir ses efforts à ceux du ministre anglais pour s’opposer à tout prix aux projets de la Russie sur la Pologne. Il eût voulu que la Grande-Bretagne, la France, l’Espagne et les Pays-Bas s’engageassent par traité à ne pas reconnaître ce qui pourrait être arrêté à ce sujet entre les autres cours ; c’était, à son avis, le meilleur moyen de ramener la Prusse et surtout l’Autriche, qui semblait faiblir. Le duc de Wellington objectait à cette proposition que des mesures semblables étaient plus propres