Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/952

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la dignité de son pays et à son propre caractère, un danger nouveau pour le trône de Louis XVIII, déjà si menacé. S’il devait quitter Paris, où l’influence qu’il prenait de jour en jour sur le gouvernement servait très utilement, suivant lui, les intérêts de l’Angleterre, et prêtait même quelque force à l’autorité royale, il voulait que son éloignement s’expliquât par une autre destination. On sait qu’on avait pensé à lui donner le commandement des troupes envoyées contre les États-Unis, avec lesquels la paix n’était pas encore conclue. Il se déclarait prêt à accepter ce commandement si on persistait à le désirer, bien qu’il ne crût pas que son intervention personnelle pût être d’un grand poids dans une guerre dont le résultat devait être surtout décidé par l’emploi des forces navales, mais il demandait, avec cet orgueil naïf qui était un des traits de son caractère, si, dans l’incertitude qui planait encore sur l’issue du congrès de Vienne, et par conséquent sur la situation de l’Europe, il était à propos d’éloigner le seul homme en qui le gouvernement britannique et ses alliés pussent avoir confiance. Cela lui paraissait impossible ; il conseillait plutôt aux ministres de l’appeler à Londres pour quelques jours, sous prétexte de lui faire présider un conseil de guerre chargé de juger un officier général ; on trouverait facilement des motifs pour prolonger son absence de Paris ; il resterait titulaire de l’ambassade et disponible pour tout ce qui pourrait survenir.

Cédant enfin aux vives instances de son gouvernement, il s’était déterminé, vers le milieu de novembre, à quitter Paris. Il ne donna pourtant pas suite à ce projet, et dans une lettre qui porte la date du 18 de ce mois, il expliqua ainsi à lord Liverpool son changement de résolution : « Le bruit de mon prochain départ, publié dans les journaux anglais et reproduit dans les journaux français, a excité ici une anxiété si vive, que j’ai cru à propos de vous envoyer un courrier. Ceux qui savent l’état des affaires considèrent ce départ comme un échec. Ceux qui ne le connaissent pas, et le public en général, y voient une preuve que les deux pays ne sont pas dans d’aussi bons rapports qu’ils devraient être et qu’ils sont en effet. Enfin ceux qui ne croient pas au bruit répandu le prennent pour une invention de la malveillance. » Lord Liverpool, vaincu par cette opiniâtre résistance, finit par permettre au duc de Wellington de rester à Paris jusqu’au moment où il trouverait une occasion favorable pour en partir sans qu’on pût croire, suivant l’expression du guerrier diplomate, que de vagues rapports et des lettres anonymes l’avaient effrayé au point de l’obliger à prendre la fuite.

Cette occasion ne tarda pas à se présenter. La session du parlement allait s’ouvrir, et le ministère anglais s’attendait à rencontrer dans la chambre des communes, si docile tant que les dangers de