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courriers même, furent partout repousses, on ne voulut pas même prendre connaissance des propositions dont ils étaient chargés. Trouvant dans les archives du ministère des affaires étrangères le traité secret conclu à Vienne, le 3 janvier, entre la France, l’Angleterre et l’Autriche, dans la prévision d’une rupture avec la Russie et la Prusse,.Napoléon eut soin d’en faire donner connaissance à l’empereur de Russie. Il espérait par là le brouiller avec des alliés qui avaient été si près de devenir ses ennemis. Ce calcul fut trompé : Alexandre, sans dissimuler la pénible surprise, l’indignation même, qu’une telle découverte lui faisait éprouver, affecta de se mettre, dans l’intérêt de la cause européenne, au-dessus de ses justes ressentimens.

Il y avait unanimité absolue pour ne consentir à aucune transaction avec Napoléon, et pour hâter autant que possible, par les plus prodigieux armemens dont l’Europe eût jamais eu le spectacle, le commencement des hostilités ; mais l’esprit dans lequel elles devaient être conduites, les moyens que l’on devait adopter pour établir en France, après avoir renversé l’ennemi commun, un ordre de choses qui donnât des garanties à la paix européenne, n’étaient pas également déterminés, bien que Louis XVIII, retiré à Gand, continuât à être traité en roi de France, et qu’on eût admis ses plénipotentiaires à signer avec ceux des autres cours les actes dirigés contre le détenteur actuel de sa couronne, la question de son rétablissement ne se présentait pas à tous les cabinets avec une telle netteté, qu’il n’y eût pas à s’inquiéter des obstacles que pourrait y apporter le cours des événemens. L’empereur Alexandre surtout témoignait à ce sujet une incertitude qui pouvait tenir à son caractère et à la tendance générale de ses idées, mais qu’avait sans doute augmentée son mécontentement de la politique suivie à son égard par la maison de Bourbon, dont il se croyait en droit d’accuser l’ingratitude. L’ambassadeur que l’Angleterre avait accrédité auprès de lui, lord Cathcart, présentait ainsi, dans une lettre écrite à lord Liverpool, les dispositions dont ce prince lui paraissait animé : « Je n’ai aucune raison de supposer que l’empereur ait en vue la substitution d’une dynastie particulière quelconque à celle des Bourbons, mais je crois qu’à présent, comme en 1813, il a des doutes sur la possibilité de la restauration du roi. Il ne m’a pas parlé du duc d’Orléans, mais je sais que certaines personnes pour l’opinion desquelles il a beaucoup de déférence considèrent le duc comme étant, de toute la famille, le plus en mesure de se concilier la confiance et la bonne volonté des différens partis. L’empereur m’a souvent, et tout récemment encore, exprimé sa détermination de n’intervenir dans les affaires de France que pour exiger l’éloignement de Bonaparte, et pour empêcher qu’il ne soit remplacé par un de ses maréchaux ou généraux, parmi lesquels il