Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/972

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compte d’ailleurs de l’agrandissement prodigieux d’autres puissances dans ces derniers temps, spécialement de la Russie), je ne suis pas convaincu, dis-je, que la France, même avec ses dimensions actuelles, ne puisse pas devenir un membre utile plutôt que dangereux du système européen. »

Cette dernière considération, par laquelle lord Castlereagh s’affranchissait des étroites préoccupations du moment pour peser les chances de l’avenir, n’est pas un des moindres témoignages de l’esprit de prévoyance élevée qui le distinguait. On a vu qu’il se prévalait de l’opinion du duc de Wellington pour s’opposer au démembrement de la France ; le duc venait de lui écrire une très longue lettre où il lui disait :


« J’ai lu attentivement le mémorandum que vous m’avez envoyé, et j’ai bien considéré le contenu de ceux des ministres des autres puissances. Mon opinion est que la révolution française et le traité de Paris ont laissé la France trop forte pour le reste de l’Europe, à raison de l’affaiblissement de tous les autres états, par suite des guerres qu’ils ont dû soutenir contre elle, de la destruction de toutes les forteresses aux Pays-Bas et en Allemagne, et de la ruine des finances de toutes les puissances continentales, — Néanmoins… je doute qu’il soit à présent en notre pouvoir d’opérer dans les rapports de la France avec les autres puissances un changement qui soit vraiment profitable.- En premier lieu, je pense que nos déclarations, nos traités, et l’accession, bien qu’irrégulière dans la forme, que nous avons permis à Louis XVIII de faire à celui du 25 mars, doivent nous empêcher d’apporter aucune modification réellement importante à l’état de possession résultant du traité de Paris. Je ne puis admettre l’argumentation de ceux qui prétendent, soit que la garantie énoncée dans le traité du 25 mars ne s’appliquait qu’à nous-mêmes, soit que la conduite du peuple français depuis le 20 mars lui enlève le bénéfice de cette garantie. Le peuple français s’est soumis à Bonaparte ; mais il serait ridicule de croire que les alliés seraient arrivés à Paris en quinze jours après le gain d’une seule bataille, si ce peuple en général n’avait pas été favorable à la cause qu’ils étaient censés appuyer… Le résultat des opérations des alliés a été très différent de ce qu’il eût pu être, si la disposition des habitans avait été de leur résister. — Dans mon opinion donc, les alliés n’ont pas le droit d’altérer matériellement les clauses du traité de Paris… ; mais de plus je puis prouver que leurs intérêts bien entendus doivent les engager à tenir la conduite que la justice leur prescrit… Mon objection à la demande d’une grande cession territoriale de la part de la France… est qu’elle serait contraire au but que les coalisés s’étaient proposé dans la présente guerre et dans les précédentes… Les alliés avaient pris les armes contre Bonaparte, parce qu’il était certain que le monde ne pourrait être en paix tant qu’il posséderait ou qu’il serait en mesure, de reprendre le pouvoir suprême en France. Nous devons donc avoir soin, en prenant les arrangemens qui sont la conséquence de nos succès, de ne pas laisser le monde dans la même situation malheureuse, par rapport à la France, où il se serait trouvé,